C'était parti en couilles entre les deux. Fallait s'y attendre, ça avait commencé dès la première semaine avec les débats sur l'escalade, puis les interminables discussions boxe-foot-vélo, pour se terminer dans ce putain de parc à trampoline improbable niché au sous-sol. @Clay et Mael ils avaient l'air de deux trous du cul là en mode shorts basket de kiffeurs, à tapoter les boutons à l'entrée pour faire varier les lumières. Slackline ? J'ai l'impression d'être dans un Disneyland pour connards. Voilà, c'était posé. Mael c'était le cliché d'une génération qui cherchait à se défaire des barrières traditionnelles imposées par leur société moderne (p'tit taf en startup, latte matcha au coffee shop du coin etc etc), mais qui adorait taper en premier sur ce cliché. En l'occurence, à deux ils formaient un parfait combo. On commence par quoi ? Elle était là la vraie question. Parce que quitte à avoir signé pour une téléréalité et avoir perdu la dernière once d'amour propre qu'il pouvait vanter, autant y aller franco. Tu le vis comment le fait de participer à ce genre d'émission ? Y'avait des personnes avec qui la question se posait pas. Y'avait Jules aussi, qui naviguait un peu comme eux en eaux troubles. Mais avec Jules ils étaient vite tombés sur un commun accord de moquerie et de sarcasme bien français pour aborder l'émission. De Clay il attendait plus que ça. Le gars avait un taf de rêve, remportait masse de pactole chaque mois et pouvait easy switcher entre ses différentes baraques. En plus, il avait ce côté sain d'esprit, équilibré, à se dépenser dans le sport du fait d'une éducation plus à la dure. Y'avait un truc qu'il captait pas, Mael. Il avait parfois besoin de se rassurer vis-à-vis de sa propre présence dans le game. Mon seul réconfort c'est qu'aucun de mes potes ne sait vraiment que j'suis là. Décalage horaire et tout le bordel oblige. Officiellement j'suis en plein trip au Canada. Son sourire no shame s'était dépeint sur ses lèvres tandis qu'il avançait dans la pièce, chopant un ballon de basket pour balancer un premier panier, par principe.

Dans son short Off White, ses AM1 aux pieds et un marcel blanc couvrant son torse, Clay accompagne brillamment @Mael dans le style demeuré en sortie du dimanche. La France et les US regroupant, dans le fond, le même style de connards, les deux garçons effacent dès cet instant leur différence géographique pour s’unir dans la beaufitude. A l’entente du terme « slackline », Clay jette un regard à Mael. — Toi-même tu sais exactement quel genre de mec pratique ça, dit-il d’un air entendu. Le gars qui fume des joints, porte des pantacourts amples couleur kaki et fait du cirque le samedi aprem. Celui-là. Ils entrent tous les deux dans la gigantesque salle regroupant des mètres et des mètres de trampolines. Le regard rapide de Clay file à toute allure de jeu en jeu, les mauvaises idées se succédant trop rapidement dans son esprit. — Guette. Il prévient Mael avant de s’élancer en avant, prenant de la vitesse jusqu’à sauter tout en souplesse jusqu’au panier de basket, qu’il attrape par le cercle métallique. Le mouvement est rapide : arrière, puis tout en avant, à la force des jambes, et le voilà qui bondit dans le vide, ses mains abandonnant le panier de basket. Il vise un atterrissage sur le trampoline qui borde le minuscule terrain de basket, mais une fois en l’air, il lui semble que son idée était trop optimiste. L’espace est immense entre le cerceau et le trampoline, et il sait, à mi-chemin, que c’est baisé et qu’il va s’écraser par terre. Il donne tout, et se raccroche par les bras au rebord du trampoline qu’il a failli manquer de cinq centimètres. Il se hisse jusqu’en haut et tente de maintenir son équilibre, debout sur le matelas instable, se tournant vers Mael comme s’il ne venait absolument pas de manquer de crever sous ses yeux. — E-ZY, clame-t-il en imitant de ses doigts le shaka de R10. Il va se faire éclater par la production si ces images leur parviennent, c’est absolument certain. D’un bond, il saute en arrière et tente un salto retourné sur le trampoline avant de s’écraser à l’avant. Sept ans d’âge mental. Mael s’est rapproché de lui avec une question que Clay ne s’était pas posée. Du moins, pas comme ça. — Tu vois ces mômes que les parents laissaient en centre de vacances, l’été ? Avec des thèmes, genre « astronomie » ou « karting » ? Le genre de truc qui aurait fait le bonheur de son enfance, si seulement son père avait eu autre chose en tête que la seule volonté de les entrainer, lui et son frère. — C’est ça que je vis en ce moment. Une colonie de vacances pour adultes. J’avais du temps devant moi et envie de quelque chose de plus stimulant que des vacances sur un bateau. J’ai hésité entre un trek au Costa Rica et On my block. L’envie de jouer l’avait emportée. — Cela dit j’ai toujours envie de faire le trek… Si je sors tôt de l’aventure, je me le ferais peut-être, pense-t-il tout haut. S’écrasant sur le ventre le long du plastique du trampoline, il jette à Mael un regard par en-dessous. Il ressemble à un chat immature, Clay. — Toi et Jules, vous êtes français, il signale l’évidence dans un sourire. — Les français veulent être classes, alors vous avez un petit complexe de vous retrouver ici, nan ? Jules il fait toujours le blasé, et Mael il dit tout le temps que dès qu’il se sera cassé d’ici, il partira faire un vrai voyage. Genre il a d’autres plans plus importants que cette merde de télé-réalité. — Nous les Américains, on a honte de rien. Tu me foutrais au Texas dans un concours de vachette que j’me sentirais à mon aise au milieu des beaufs et des panini-saucisse. Mael attrape un ballon de basket et tente un panier – réussi – qui éveille l’intérêt du joueur en Clay façon étincèle dans le regard. Il se redresse sur le trampoline et, au lieu d’en descendre normalement, évidemment, a l’idée de faire le saut inverse : bondir du trampo et atterrir en s’agrippant au cerceau de fer du panier de basket. Risky business, mais si c’est pas dangereux, c’est pas drôle. Il prend son élan en manquant de perdre l’équilibre, court, et saute. CLANG. Ses bras supportant tout son poids se suspendent par les mains au cercle de fer. Il est secoué d’avant en arrière jusqu’à ce que le rythme se calme et qu’il se laisse tomber à terre, face à Mael et prêt pour un petit basket, qu’il perdra probablement parce qu’il n’a pas joué à ça depuis dix piges (et surtout qu'à son humble avis, il est naze dans le domaine). — T’es un joueur, tu kiffes te challenger et comme moi, t’aimes bien alterner les moments surpeuplés et la solitude, genre quand t’es en vélo et que tu profites en solo. T’es pas ici pour des raisons narcissiques, ou pour pécho comme un charo. Comme moi, le projet t’a donné envie de te challenger, avec possiblement des gens cools, il explique, comme pour le rassurer. Savoir que Mael n’a pas osé informer tous ses potes de sa présence dans le jeu le fait rire. — T’es dur avec toi-même mec, tes potes vivraient leur meilleure vie à s’retrouver le samedi soir devant la télé avec des bières et des burgers et te regarder. Depuis ton pseudo Canada, tu leur manques. Participer à OMB, c’est aussi l’occase d’obliger ses potes à se réunir en son honneur, quand bien même ce serait pour se foutre de ta gueule pendant toute une soirée. — J'ai pas honte d'être ici. Toi si ? Il demande en attrapant le ballon d’une main et en tentant un panier.

Mael il était clairement dans la position du pote prêt à se foutre de la gueule de l'autre. L'autre, en l'occurence c'était Clay. Un Clay qui avait bouffé trop de bonbons au grand damn de ses darons prêts à le shooter au sirop bourré d'opioïdes. Même pas le temps de dégainer sa tablette pour immortaliser le salto à moitié foiré du ricain - qui avait manqué de se péter toutes les dents contre le trampo. Pépouze comme on dit chez moi. Le côté salto ça le faisait pas des masses délirer, Mael. Il était plutôt porté vers le naufrage dans la piscine à formes bizarres en mousse. J'me suis pété un bras sur un trampo quand j'étais gamin. Ca valait le coup de préciser sa réserve. Interdit de foot, interdit d'escalade, interdit de vélo, interdit de TOUT pendant beaucoup trop longtemps. La frustration il la sentait encore à fleur de peau. J't'aurais gagné le championnat inter-régional niveau poussins sans ça. Il avait mimé la scène avec ses mains. Un saut un peu trop haut, son pote qui décidait de faire la même (deux couillons), coup de tête dans les airs et atterrissage sur le rebord du trampo. L'impact, la vitesse, la force, ça l'avait projeté contre une barrière plus loin. Bam. J'étais doué pourtant, j'aurais pu faire carrière dans le salto. Si Clay se défoulait en faisant de la merde, Mael se défoulait tout autant en racontant de la merde. Et l'équilibre était vite trouvé. Il s'était canalisé depuis quelques temps, à vrai dire. Mael ça n'avait jamais été un grand casse cou. Grandir face au spectre de la montagne et de la nature ça lui avait appris à respecter son propre corps. Ses accidents, c'était des purs hasards. Jamais rien qui n'incombait à une connerie volontaire. Pour faire suite à ça il s'était laissé tomber, bras écartés, dans ladite piscine. Par principe il s'était mis à balancer les morceaux de mousse à Clay encore perché sur son trampo. Objectif : 150 points en visant la tête. Deux gosses, les deux, même raconter leurs propres expériences ça n'enlevait rien à leur façon de faire d'ados de 13 piges. La Suisse d'Amérique Centrale apparemment. Ultra safe, ultra accueillant. Ca a l'air ouf. Le passage d'un Océan à l'autre ça le bottait bien. Le tout en grimpant des volcans. La nature était bien faite putain. Ils en profitaient décidément pas assez. A l'écouter porter des jugements sur leur attitude, à Julio et lui, il s'était relevé, se hissant hors de sa cage moelleuse pour choper le ballon de basket. Jules je sais pas, moi ouais. Cette honte c'était clairement un truc qui faisait partie de sa réflexion. Jusqu'au dernier moment j'ai failli rebrousser chemin sur mon vélo. Et il n'avait pas trop de mal à l'admettre, tout comme Clay n'avait aucun mal à résumer la situation en quelques phrases évidentes. J'pense que c'est plus la durée du truc que la situation en fait. Tu me dis go, va jouer au guignol pendant deux jours, je te le fais sans soucis. Là j'assume clairement le fait de m'exposer pendant des semaines. Comme si les gens pouvaient vraiment en avoir quelque chose à foutre de ma gueule. Il souriait, balançait ça avec tout autant de légèreté que Clay, mais il foutait aussi le doigt sur un truc qui l'avait pas mal fait réfléchir. C'est pas un challenge dans ce sens. Je m'en bas les couilles de gagner. Important de le préciser. Il n'était pas joueur à ce point, le français. Enfin si, pour ma team, mais individuellement c'est pas mon délire. Y'avait rien de sportif dans OMB. Rien de glorieux à gagner des votes parce qu'il était beau gosse et qu'il avait fait jaser dès les premières semaines à force d'être au coeur de débats de meufs. Enfin revenu sur la terre ferme il lui avait balancé la balle, se fendant d'un sourire. La différence entre toi et moi c'est que tu vois ça comme des vacances quand je sais pas exactement pourquoi je suis là. Mais tant pis, il ferait avec. Victoire en cinq paniers ? Il était là, son jeu à lui. Sa compétitivité elle se manifestait sur un terrain sportif. Sorti de ce mérite là Mael il retrouvait ses mauvais pendants, guidés par des sensations à vif, plus que par de l'égo.

Les souvenirs traumatiques de @Mael le font rigoler, comme un gamin qui se marre en entendant quelque chose que les adultes trouvent suffisamment grave pour qu’on n’en plaisante pas. Il faut lui pardonner : c’est sa culture depuis la naissance, la violence. Ayant grandi avec une ancienne gloire bulgare des poids lourds, son frère et son père auraient préféré se couper un doigt de la main eux-mêmes plutôt que d’apprendre que le petit Clay aurait chialé à l’école après s’être rétamé la gueule sur le goudron de la cour de récrée. Soudain curieux du palmarès de Mael, qui semble avoir été un peu border question sécurité, il lui jette un regard dont l’intérêt a été attisé. — Tu t’es pété d’autres trucs, depuis ça ? Imaginer une carrière dans le salto le fait rire. — Salto Man. Ça fait un peu Salt Man. Son sourire s’élargit. — Ce serait un bon surnom en boxe ça, Saltman. A mi-chemin entre le truc préhistorique et… l’image du sel qu’on te fout dans une coupure, eew, grimace-t-il en frissonnant. — L’homme aux poings de sel. Dans la course à qui dira le plus de merde le plus longtemps, Mael et Clay sont au coude à coude. Parce qu’on lui balance des morcifs de mousse à la gueule, Clay entreprend de les réceptionner avec classe : contrôle poitrine, contrôle fesse gauche. Il s’en mange les trois quarts en plein front, sans surprise. Mael, il vient challenger ses idées reçues, qu’il lui balance au rythme auquel elles lui viennent en tête, invalidant ou non ses théories sans jamais les prendre pour des certitudes que Clay possèderait. Clay n’est pas des plus compliqués en matière de relation sociale : il tente un truc, si c’est pas ça, alors c’est pas ça. Il tient ça de son père. Accepte de gober c’que les gens te servent à manger. Pour Jules, Mael sait pas, mais lui, il a bien ce complexe d’être venu participer à l’émission sans avoir osé s’avouer à lui-même pourquoi il en avait besoin. « Comme si les gens pouvaient vraiment en avoir quelque chose à foutre de ma gueule ». Il sourit, croyant déceler un « quelque chose » de vrai au sujet de Mael dans cette remarque lâchée en l’air, qui veut dire plus ce qu’elle n’a l’air. Sauf que son cerveau est trop vite happé par le panier marqué, et il change de sujet à toute vitesse. Il acquiesce en entendant Mael lui confier qu’il n’est pas là pour gagner. — J’pense comme toi. Le jeu me plait, la finalité ne m’intéresse pas du tout. C’est peut-être ça qui avait fait de lui un bon boxeur aux yeux de certains, un mauvais pour d’autres. Clay attrape le ballon et marque un panier, laissant Mael marquer le sien. Sa remarque sur cette aventure, qui n’a rien de vacances pour lui, l’invite à réfléchir à quelque chose de constructif qui pourrait aider Mael à avancer sur cette question. Parce que visiblement, le mec attend un peu de soutien, et Clay tient à lui. La victoire en 5 lui convient. — Yup. Il laisse Mael tirer et rattrape le ballon. — Mettons que quelqu’un, en te voyant dans ce jeu, en ait quelque chose à foutre de ta gueule, débute-t-il en reprenant ses mots. — Me demande pas les raisons, mais imagine des vraies raisons. Pas seulement « Mael est bg », ok ? Bon. Qu’est-ce que t’aimerais qu’ce quelqu’un dise de toi, à ton sujet ? Il tire et le truc rentre. — Oh putain mec, c’est un miracle, je suis naze d’habitude.

Trois côtes, le majeur et j'ai même réussi à me fêler la mâchoire en tombant à vélo. Haussement d'épaules. Moi non plus je pensais pas que c'était possible. Il s'était passé une main sur le menton avant de se marrer. Askip c'est pour ça que je souris trop. C'est mécanique, j'suis bloqué sur cette position. Rendus à ce stade c'était limite s'ils se félicitaient pas l'un et l'autre face aux réceptions acrobatiques de mousse made in Clay. Tu l'aurais éclaté en 5 rounds Drago avec tes poings de sel. Cette chiffe molle de Russe qui s'était fait pulvériser par un Rocky vieillissant. Le pouvoir de la détermination face au dopage. Tout un art. Il s'était sorti de sa vasque pour se rapprocher du ricain, pas mal happé par leur conversation entrecoupée de conneries d'ados. On aurait dit deux potes qui se racontaient leurs premières histoires d'amour, coeur sur la main, en tapant dans la balle. Une révélation pour trois passes. C'était un peu la base de leur relation depuis le début. Cette capacité à lâcher des petites infos filées, sans se mouiller plus que ça. Clay c'était un gars facile à vivre, du moins pour Mael. Il retrouvait en lui pas mal de ses meilleurs potes. Un mec brillant mais qui n'en faisait pas des masses. Le type qui se foutait pas de sa gueule pour son taf de coach sportif, quand lui brassait des milliers à force de défendre les entreprises à coup de hacking. On aurait été virés direct d'une équipe de foot si le coach nous avait entendus dire ça. Un manque de mental certain : next. Rayés de la liste. Il shootait à son tour à bonne distance, satisfait du souffle de la balle glissant dans le filet sans même toucher l'anneau mécanique. Clay j'te jure t'as pas envie de te prendre la tête avec mes humeurs. Il souriait, Mael, mais pensait honnêtement ce qu'il disait. La balle récupérée il avait entrepris un spinning avant de la voir tomber du bout de ses doigts en à peine 4 secondes. Je sais pas frère, c'est une question plus vaste. Ca dépend de la perception que t'as de toi-même dans le monde. T'attends quoi, d'être un héros ? D'accomplir de grandes choses ? Qu'on se souvienne de ton nom ? On leur rabâchait ça depuis toujours. Surtout en tant que mecs. Les mecs, c'était les chevaliers. Les policiers. La pompiers. Les grands sportifs. Les héros. Plus largement, maintenant, les hommes dirigeaient majoritairement les pays, les entreprises, les instances militaires. Fallait toujours se pousser, faire plus, être ambitieux. Il ne s'y retrouvait que moyennement là-dedans. Pourquoi tu t'es lancé dans le white hacking ? Pourquoi ça, spécifiquement ? Il s'était mis à courir, affrontant le pivot de Clay et se débarrassant de lui en un double pas. Ballon repris et rendu il avait haussé les épaules en souriant. Moi je veux simplement être juste et cohérent. Rien de plus.