Clay a pris la fuite. Il s’est levé à l’aube, en mode Victor Hugo, a enfilé ses fringues et, par-dessus, un gros sweat bien moelleux, et il s’est barré dans les champs. L’idée, c’était d’assister au petit jour. Le soleil se dressant et baignant les blés de son humeur dorée. D’abord debout, puis assis, il a fini par s’assoupir dans un coin pas trop piquant, non loin des hauteurs du champ. Les rayons de soleil chauffent délicatement son visage, il sent la chaleur courir le long de son nez, sur son front. Un sourire apaisé se dessine sur son visage. Déjà, il imagine ce qu’il fera après : du sport dans la grange, là où il a trouvé de quoi faire une bonne séance de muscu. Ensuite, un peu de cardio avec un jogging autour de la ferme. Enfin, un bon déjeuner préparé dans la cuisine. Un truc avec plein d’œufs. Gigantesque omelette. Il rouvre les yeux en entendant un bruit au-dessus de sa tête. Le visage de @Rumer lui apparait dans la lumière, et d’une main en visière, il protège ses yeux du soleil pour la regarder. — Tu m’as suivi ou on a eu exactement la même idée ? Il demande dans un sourire. Peut-être l’a-t-elle entendu déserter le lit qu’ils partagent tous deux cette semaine. Il avait un peu froid, il n’arrivait plus à dormir.

C'est le froid qui l'a réveillé, donc elle n'a plus d'autre choix que de s'occuper avant la première tâche de la journée. Enfilant robe pull, collants et écharpe, le combo adéquat pour affronter ce froid matinal. Elle arrive à destination, le champ de blé à perte de vue. Une silhouette familière se dégage au loin. @Clay, en train de pieuter tranquillement dans son coin. Sa tête lui bloque alors le soleil. — C'est mon spot de lecture. Tous les matins, à l'aube, on la retrouve le nez plongé dans son bouquin, loin de la tumulte, des bruits parasites. Seule face à l'auteur et ses mots, une invitation à l'imaginaire et aux rêveries avant que la réalité brute et les responsabilités ne la rattrapent. Son moment à soi, isolée de tous, qu'elle chérit matin après matin. Pour certains, c'est le sport qui démarre leur journée. Elle, c'est la lecture. Elle s'invite à ses côtés, posant son ouvrage sur ses genoux. Les coudes en arrière, prenant appui sur le sol, elle se positionne confortablement, sort sa paire de solaires et contemple le champ de blé. — Je ne t'ai pas répondu la dernière fois. Elle le regarde, un sourire en coin. — A propos de mon secret. Ils ont été interrompus par l'arrivée en trombe de leurs désormais anciens coéquipiers avant qu'elle n'ait eu le temps d'apporter sa réponse à son questionnement brûlant. Elle y a réfléchi toute la semaine. Trouver les tournures adéquates, rester assez opaque pour qu'il ne le divine pas tout de suite, bien doser les indices à disséminer avec parcimonie. Un jeu d'équilibriste, en gros. — Ça va te surprendre, voire t'intriguer. Elle le pousse doucement à se lancer après son secret, elle souhaite titiller la curiosité du joueur en lui. Puisqu'il a ce besoin irrépressible d'être challengé. — C'est une facette de ma personnalité que seulement une poignée de privilégiés peuvent avoir accès. Le mystère plane derrière cette phrase nébuleuse. Un sourire énigmatique vient épouser les contours de sa bouche. — T'as droit à deux autres questions. Choisis-les bien, je suis d'humeur joueuse, ce matin. Elle se réserve le droit de rester évasive. Clay est certes intelligent, rusé, mais l'est-il assez pour débusquer son secret ? Encore faut-il qu'il fasse attention à certains détails. — A mon tour: tu m'évites ? De but en blanc, elle lui pose LA question qui la taraude depuis des nuits. Rumer est une personne attentive aux émotions des autres. Une intelligence émotionnelle dont elle se targue et des années de psycho à la fac (et un doctorat en prime) ont fait que de l'affiner. Son gestuel corporel en dit beaucoup.

Il a un sourire naturel en l’entendant lui parler, qui s’élargit lorsqu’elle vient briser sa zone de sécurité d’un pied léger, déposant son corps à ses côtés. Elle arrive comme une brise, sans déranger, sans s’imposer. C’est comme si elle avait tous les droits d’être ici, et lui aucun. Naturelle, dans son élément, lui intrus, voyageur invité. C’est « son » spot de lecture à elle, et c’est lui qui le squatte. Il s’adapte facilement à cette idée, les yeux rivés sur le ciel. @Rumer, elle met ses petites lunettes, sort son livre, et tourne la tête vers lui pour reparler de leur dernière discussion, restée en suspens. Il imaginait mal obtenir une réponse très claire, mais Rumer se livre plus qu’escompté. Curieux, il écoute avec attention. — M’intriguer ? Il répète, curieux. Ça voudrait dire que le secret, dans son intitulé, ne dira pas tout d’elle, ni de lui-même. Qu’il faudra encore chercher pour comprendre vraiment. Une facette de sa personnalité qu’elle maintient cachée, que ce soit volontaire ou non. N’y tenant plus, il finit par se tourner vers elle, s’appuyant sur le bras droit, son regard coulant sur son visage pour tenter de la percer à jour. — Une facette de ta personnalité, hm ? Il sourit. — J’élimine tout ce qui concerne ton statut, alors. Tu n’es pas l’héritière de quelqu’un de connu. C’est un secret qui concerne un choix que tu as fait, qui correspond à qui tu es, il pense à haute voix. Il la regarde encore et encore, comme si la réponse se trouvait dans ses traits, ses battements de cils, le rythme de son souffle. Elle l’intéresse, Rumer, elle l’intéresse énormément parce qu’elle parvient à le stimuler, à capter son intérêt comme rarement quelqu’un y est arrivé. Aussi, voire encore plus joueuse encore que lui, Rumer lui annonce qu’il a droit à deux questions. Il se délecte de ce cadeau, prend tout son temps pour y réfléchir, tandis qu’elle choisit de lui en poser une en attendant qu’il se décide. Est-ce qu’il l’évite ? Pas vraiment, puisqu’il dort avec elle. Mais dans le fond, elle n’est pas aveugle, Rumer, elle est même parmi les plus perspicaces du block. — Un peu, dit-il à voix basse. Ça ne sert à rien, ils ont toujours des micros sur eux, mais sa voix d’abaisse par réflexe. Il croise et décroise son regard, mal à l’aise. — Ça fait plusieurs fois qu’on me demande ce que j’attends avec toi : c’que j’attends pour te parler, pour faire un move, je sais pas, les gens nous voient ensemble, remarquent qu’on s’entend bien, et me demandent de prendre soin de toi, de pas te faire de mal, de faire quelque chose pour pas te laisser dans le flou… Je sais pas quoi faire ou quoi penser. C’est comme s’il avait une soudaine responsabilité, un truc à gérer, et tous les regards braqués sur lui. Lui, il a jamais rien demandé d’autre que de passer du temps avec Rumer, sans story, sans idées derrière la tête.

Elle éclate de rire, elle ne sait pas comment réagir autrement face au ridicule de la situation. Ils se connaissent à peine et on fait déjà des plans sur la comète les concernant. Et elle, son avis, ça ne compte pas ? Elle se doit d'éclaircir deux-trois choses avant, pour mettre fin à cette ambiguïté dans leur relation. — a. Arrête de réfléchir. Tu réfléchis trop. Elle, Rumer, ça a toujours été le contraire. C'est le corps qui dicte, puis le cœur qui suit dans la foulée. Parfois ils vont souvent de paire. Le cérébral passe en dernier sur sa liste quand ça concerne le sexe et l'amour. Elle vit les choses, Rumer, ne les fantasme pas. — b. Prendre soin de moi ? J'y arrive très bien toute seule, merci. Elle roule les yeux par dépit, car sous prétexte qu'elle est émotive, elle doit être protégée, couvée. Rumer se suffit à elle-même. Au lieu de ça, on la traite comme une gamine et ça l'agace un peu. — c. Ça n'est jamais venu à l'esprit de personne que moi aussi, j'ai juste envie de passer du bon temps et que je ne cherche rien de sérieux. On s’attend toujours à ce que la fille soit celle qui veut se maquer à tout prix. Et le désir là-dedans ? Il existe et en la matière, la Rumer n'est si sage et si délicate que ça, en vérité. — Relax, sois-toi même et tout va bien se passer. Elle s'esclaffe, puis se redresse, penchant légèrement sa tête vers le sien et le dos de sa main vient caresser sa joue duveteuse. Il ne sait pas ô combien c'est douloureux pour elle de ne pas le toucher, de se retenir sans cesse. Donc elle ne se retient plus désormais. A la question : qu'est-ce qui lui plait chez lui ?, qui lui a été posé maintes fois à ce stade. La réponse est: tout. — T'es toi-même sans concession, tu ne fais pas semblant. Cette semaine et la semaine précédente, elle a eu le loisir de le côtoyer au quotidien, de l'observer quand il ne regardait pas, de l'apprivoiser un petit peu chaque jour car il est sauvage, @Clay. Sauvage, fougueux et fier. —  Tu es entier. Le visage de l'anglaise s'approche délicatement du sien. — C'est pour ça que tu me plais., qu'elle lui murmure. Ses lèvres viennent effleurer les siennes, leur offrant un baiser volage. Pendant qu'elle le distrait, usant de sa malice, elle en profite pour le repousser avec l'énergie d'une enfant. Elle se relève en ricanant, se tourne vers lui et lui lance d'un air de défi. — On se retrouve au milieu. Un clin d'oeil, puis elle disparaît dans le champ de blé. Son rire résonne, ses pas rapides l'emportent de plus en plus loin. Arrivant à ce qui paraît être l'épicentre, elle stoppe sa course effrénée en direction du soleil. Essoufflée, elle étouffe de chaud dans ce pull trop large, elle envoie valser les collants. En sous-vêtements, le corps orienté vers le soleil, elle s'enivre des derniers rayons d'un été indien qui chatouillent sa peau diaphane. Elle lève le nez au soleil, soupire de plaisir, savourant cet instant de quiétude. L'oreille à l'affût, elle guette patiemment son arrivée.

Arrête de réfléchir. Il y arrive pas. Pas avec certaines personnes. Quand on le met avec des potes, ou avec Mael, son cerveau d’ordinaire sans arrêt en train de tourner dans tous les sens se met comme en pause. Avec @Rumer, il a carrément peur de merder, peur que son état d’esprit à lui prenne le dessus sur la manière correcte de prendre en compte le sien. Alors, le plus simple, c’est peut-être que Rumer le lui explique elle-même. Ses yeux s’ouvrent plus grand lorsqu’il entend Rumer lui dire que, peut-être et contre l’avis général, elle a seulement envie d’un peu de bon temps sans prise de tête. Maintenant qu’il l’entend de sa bouche, ça sonne différemment en lui. Moins de pression, sans doute. Moins cette étiquette de l’enculé qui colle à l’ombre que le soleil projette de son corps. Le regard rivé sur les blés face à lui, que le vent fait ployer dans une danse étrange, il sursaute lorsque la main de Rumer se dépose sur sa joue. Son cœur a fait un bond, comme à chaque fois qu'on entre en contact avec sa peau de façon inattendue. Il lui jette un regard d’excuse, tandis qu’elle se met à rire. Les yeux de Rumer, noirs, profonds, insondables, lui renvoient son propre visage perplexe. Elle le trouve naturel, Rumer, et spontané. Il plonge dans ses pupilles avalées par ses iris. Son regard semble ne former qu’un, deux billes d’un chocolat pur. Il n’intime pas de mouvement lorsqu’elle se rapproche de lui, ses compliments murmurés l’enivrant soudainement alors qu’il n’y était pas préparé. Ce baiser, il ne s’y attendait pas, c’est une sorte de caresse à peine pressée, une invitation à la suivre. Il a du mal à tout capter en même temps, Clay, son « tu me plais » s'entremêle à son baiser et le temps que ça monte jusqu’à son cerveau qu’il processe, un nouveau rire est venu faire éclater sa bulle de silence, brisant sa réflexion embrumée. Rumer se redresse puis se relève. Complètement largué, il la suit du regard, ne comprenant qu’avec beaucoup de retard le défi qu’elle lui lance. Elle se barre en courant, son rire disparaissant avec elle au milieu des hautes tiges, et il faut un moment à Clay avant de capter. Les paroles de Rumer lui font un bien hallucinant. Surtout après avoir été jugé par des personnes qui n’avaient jamais fait le moindre effort pour le connaitre, le rencontrer. Ici, c’était différent de dehors. Les gens se scrutaient, s’observaient de trop près, émettaient des conclusions sans avoir écouté le problème en entier. Les gens parlaient, beaucoup, de tout et surtout de rien, et tournaient en rond et finissaient par ressembler à des petits rats de laboratoire en désir d’attention. Ça avait presque fini par le mettre mal à l’aise. La légèreté de Rumer est une bénédiction dont il serait stupide de se passer. Il se redresse à son tour, comme après avoir reçu un choc électrique, et trottine pour finir en sprint jusqu’au centre. Mais ya pas de foutu centre dans ce labyrinthe, et il suit Rumer à l’odeur de son parfum, aux tiges de blé qu’elle fait frissonner tandis qu’elle les frôle. Quand il la trouve, elle est en soutif - culotte, ces fringues qu’il connait pour les avoir lavées en même temps que les siennes, près de la grange. Il rit en la voyant offrir son corps, sa peau diaphane au soleil comme à un dieu. — Toi aussi, tu es entière, dit-il alors que son rire s’évanouit pour laisser place à un sourire. — Première question. Est-ce qu'il a un rapport avec une activité peu... conventionnelle ? Plus il la regarde, et plus il a ses idées sur son secret. Il n’oublie pas qu’il a droit à deux questions, et ce dont il est déjà certain, c’est que le secret de Rumer fera sauter tous les a priori à son sujet, toutes les barrières qui l’entourent et, malgré tout, l’enferment.