Comme tous les mecs d'un certain âge qui aimaient chiner des zoulettes il avait appris à jouer de la guitare à l'adolescence, Mael. De toute façon ça avait été un espèce de prérequis indispensable à ses deux années de scout, pour chantonner autour du feu en bonne et due forme. Avec le temps son intérêt pour la musique s'était détourné de la guitare sèche vers les synthés, claviers et autres joyeusetés. Le clavier, c'était aussi un apprentissage paternel. Mais ce qu'il avait kiffé par-dessus tout c'était apprendre les percu' lors de ses deux années sud-américaines. C'était un curieux, Mael. Il s'enjaillait pour pas grand chose et se laissait embarquer dans pas mal de délires autour d'une bière de trop. Hello beauty. Il avait passé son bras autour de l'épaule de @Rumer, l'embarquant avec lui dans son exil musical d'un après-midi. J'sais tout jouer, mais tout approximativement. Son sourire s'était délié, amusé mais sincère. Ca occupe une partie importante de ta vie toi la musique ? Ils faisaient partie de cette génération bercée au mp3. Toujours des écouteurs dans les oreilles. Incapables de bosser sans son. Mais pour certains c'était plus que ça. Raconte-moi un truc sur toi. Au fond, il avait l'impression de ne pas la connaître tant que ça Rumer. Il l'aimait beaucoup, appréciait ses moments passés avec elle, mais n'avait pas la sensation d'avoir dépassé certains types de conversation. Sans doute leur côté faux extravertis. A trop se jauger ils étaient restés sur leurs appuis, conscients que la moindre ouverture les foutrait l'un ou l'autre face à une trop grande vulnérabilité.

Loverboy vient l'accoster, l'entraînant dans le studio musique, une des pièces préférées de l'anglaise. C'est le paradis ultime des musiciens et de la mélomane qu'elle est. Apparemment, @Mael sait jouer de tout mais pas de façon approfondie, encore coincé au stade de novice, elle présume. – Avec lequel instrument tu te sens le plus à l'aise ? Elle attrape un ukulélé au hasard et fait quelques accords. Des accords simples pour s'échauffer d'abord, tout en vérifiant que c'est bien accordé. Effectivement, la musique a une place importante dans sa vie, en témoignent les nombreux vinyles qu'elle a en sa possession. Chaque samedi matin, on peut l'apercevoir chez son disque préféré, à la recherche de la prochaine pépite. – Oui, j'écoute de la musique non stop. Matin et soir. Quand je peins surtout. Partout où je vais. Pour moi, chaque chanson reflète mon humeur du moment, mon histoire personnelle aussi. Dis moi ce que t'écoutes, je te dirai qui tu es. La musique fonctionne chez elle comme une sorte de capsule temporelle par laquelle elle active ses souvenirs les plus vivaces, par laquelle elle convoque ses moments les plus intenses. La musique est une forme de thérapie, elle l'a toujours été. – Parfois j'ai l'impression d'être dans un film. Elle pouffe de rire et poursuit sa ligne d'accords tranquillement, avec une certaine dextérité. La musique a accompagné les instants les plus importants de son existence. Elle en ferait presque une bande originale, si on le lui demandait. – Si tu devais te créer la playlist de ta vie, tu commencerais pas quelle chanson ? Elle repose le ukulélé sur ses genoux dans l'attente d'une réponse de sa part. Puis une question entraînant une autre, ça débouche sur une anecdote qu'elle pourrait lui raconter. Restons dans le domaine musical, du coup. – J'ai joué dans un groupe au lycée, j'étais à la guitare et choriste de temps en temps, histoire de dépanner. On s'appelait les Diamond Dogs, on reprenait les morceaux de David Dowie en y mettant notre petite touche, notre fantaisie. On mettait les tenues les plus bariolées et les plus osées qui soit. J'ai fait mes premières armes en tant que maquilleuse sur scène, avec ce groupe au début puis d'autres se sont succédés. C'est comme ça que sa passion pour le maquillage est née. En copiant, en reproduisant, en réimaginant les maquillages de ses idoles, prestation après prestation. De là où elle vient, Bowie c'est une légende à Brixton. Pour elle, il est plus que ça. Elle se souvient avec émotion de sa mort, elle a été dévastée. – Et toi, du coup, qui se cache derrière ce faux extraverti ?

Vague haussement d'épaules. Il avait switché son regard d'un instru à l'autre avant de s'approcher victorieux du djembé, sourire de gamin aux lèvres. Ca, évidemment. Boum - tchak - boum boum tchak. Les rythmes d'une roda de capoeira. Il s'était posé derrière l'instru, le faisant basculer en avant pour le coincer entre ses genoux. J'adore la sensation de la peau sous mes doigts. Le claquement alterné, du grave au moins grave selon le placement des mains. Ca le faisait délirer, Mael. Comme tout le monde il avait été ultra amateur, considérant d'office que quatre claquements suffisaient à délimiter une rythmique. Puis il s'était fait tirer les oreilles par un prof de capo' et il était revenu sur sa position. C'est quoi ta chanson actuelle du coup ? La question était facile, une perche tendue par @Rumer et à laquelle il s'accrochait volontairement. Sourire relevé, il l'imaginait bien avec ses écouteurs toujours à proximité. Son silence visait simplement à se concentrer sur ses accords d'ukulélé, cherchant par la suite à y faire écho sur le djembé. Ah ! Une bonne question ça. Meilleure bande originale de tous les temps. La question à un million. Mais pour Mael c'était plus marquant qu'un titre préféré. Y'avait des sons, comme ça, qui lui arrachaient le coeur. Impossible de comprendre pourquoi, sachant qu'il avait rarement vu le film associé. C'était l'orchestre, sans doute, la composition entière. Il trouvait ça incroyable, que des mecs soient capables de concevoir quelque chose d'aussi unique, dont la visée était simplement d'accompagner une image. Aucun égocentrisme de chanteur. Pas de recherche du tube, en top 10 des radios internationales. Non, juste de la musique pour la musique. Pour ce qu'elle avait de plus beau. Son unicité. Here's to you d'Ennio Morricone, composée pour Joan Baez. Elle était là, sa réponse à Rumer, doublée de celle à sa propre question. Dans sa version live sur la Place Saint Marc de Venise. Quitte à être précis, il s'y collait. Elle me bute. Question renvoyée en un hochement de tête. Il avait calmé ses rythmes fumeux de djembé quand elle avait décrété la session ukulélé terminée. A la place, il l'écoutait, intégrant minutieusement ces petits détails de son adolescence. Il venait d'où votre nom de scène ? Une simple blague, peut-être. Mael et ses potes ils s'y connaissaient bien là-dedans. Détourner une connerie et finir par se l'approprier. Mais y'avait toujours une raison, au fond, quelque chose d'un peu plus significatif. Tu veux pas savoir j't'assure. Il jouait volontairement au faux mystérieux, sa tonalité doublée d'un sarcasme évident. Un éternel insatisfait. Facile. Jamais trop, jamais assez, jamais content. Français quoi. Il avait du mal à rebondir aussi librement sur ces questions là, Mael. Tout simplement parce que se décrire c'était en partie mettre des mots sur ce qu'il était venu montrer ici. Cool, mais pas trop. Tu vois ? Je suis moins là pour le jeu que pour ma petite gueule. Ca pouvait sonner individualiste mais il ne pouvait pas spécifier les choses autrement. Un gars qui a toujours aimé étudier en silence. Et ça le faisait sourire, ce face à face avec le besoin de musique de Rumer. Pour Mael, la musique avait toujours été une distraction majeure dans ses processus de concentration.