La nature, dans ce coin, elle est presque agressive. A ces connards qui viennent de Paris, de L.A, de Frisco, elle balance, rageuse, son éclatante beauté sauvage dans le but de leur faire fermer leur grande gueule. Et ça marche, du moins avec
@Jules et Clay, qui n’ont presque pas parlé de toute leur promenade entourée de buée blanche, leurs poumons hurlant silencieusement de douleur et d’extase. Leurs pas crissent contre les cailloux qui bordent le lac Louise, imperturbable, offrant à leur regard son eau d’un bleu minéral. Autour du lac, les arbres aux cimes immenses chatouillent les nuages, et là encore, les provoquent. Vous allez faire quoi, les nains ? A Clay, ça l’électrise presque autant qu’une envie de faire l’amour, ça lui donne envie de foncer droit devant pour s’expliquer avec ce putain de lac. Jules lui désigne un canoë, et Clay acquiesce sans mot dire, totalement chaud pour l’activité.
— J’ai jamais pu tester autre chose de ce casino que son ring et ses vestiaires, faut absolument remédier à ça, il répond dans un sourire gourmand. Mael avait proposé de réparer l'erreur. La bouffe, les tables de jeu, il n’avait pas pu y toucher. Sans parler des filles, of course, puisque son père était dans le coin et que le régime pré-combat ne comprenait pas de sexe : zob ou job, il faut choisir. Il a pas l’intention de faire chier Jules avec des teasings et des questions sur les meufs du casino, Noor, pas Noor. Ils verront bien ce qui se passera quand ils y seront, pourquoi balancer de la pression ?
— J’avance les mises, cinq mille balles chacun et que le meilleur gagne, dit-il entre ses dents, son sourire de vainqueur planté sur sa face. Première chose qu’il fait en sortant d’ici ?
— Je checke mon tel, j’appelle mes meilleurs potes, on se donne rendez-vous quelque part et je veux minimum quarante-huit heures rien qu’avec eux, du non-stop, jour et nuit. J’suis en manque d’eux on dirait un junkie, il ajoute, non sans douleur. Penser à ses potes, ça commence à lui faire presque mal physiquement tant le manque le tiraille, le prend aux tripes.
— J’y pense tellement… Quand un candidat du block me dit un truc, quand je vois quelque chose, je sais à qui je voudrais le montrer, je voudrais savoir ce que lui, ou elle il en penserait… Leurs avis sur les candidats. Sur les missions et les challenges. Ce qu’ils ont pensé de lui. Qui est-ce qu’ils ont kiffé ou pas kiffé dans le jeu ? Il a plus que jamais besoin d’eux.
— Et toi, mec ? Envie de retrouver tes petites soeurettes ? Il a jamais demandé à Jules à quel point sa maman et ses soeurs comptaient pour lui, mais au fond de lui-même il imagine qu’elles comptent énormément. Il a un vrai cœur, Jules. Clay hésite soudain, le regard posé sur le canoë, et, après un énième coup d’œil au lac et aux montagnes qui le bordent, arrogantes, si grandes comparées à lui, il retire sa doudoune, son pull, et enfin, le t-shirt qu’il portait en-dessous, se débarrasse de ses pompes et de son jogging qu’il jette avec ses fringues dans le canoë. En caleçon, il grimpe sur le rebord de la barque.
— Appelle-moi Wim Hof. THE WAY OF THE ICEMAN, il gueule avant de se jeter dans l’eau glacée. Oh merde. Oh le gel. Oh putain de merde. Il bouge à mort une fois sous l’eau pour éviter de se faire paralyser de froid. Il nage comme un malade, ses yeux ouverts dans l’eau bleue avec laquelle il flirte sans crainte. Elle le narguait, cette eau, cette nature qui leur imposait le silence et qu’il est venu briser d’un grand saut dans la surface impassible. Ses yeux souffrent presque tellement il fait froid. Son coeur, il ne l'entend plus battre, son cerveau pris en étau. Il a beau être un taré, il sait qu’il ne doit pas rester trop longtemps dans une eau à température négative. Quand il remonte à la surface, il secoue la tête en cherchant Jules du regard.
— Elle est archi bonne, tu devrais venir ! Mensonge total, c’est un putain de glacier, c’est le Titanic, mais sa voix fait éclater le silence religieux des lieux et s’envoler un piaf, peu habitué à ce type d’énergumène dans son sanctuaire. Clay se grouille de nager en sens inverse pour se hisser sur le canoë aux côtés de Jules. Il a la chair de poule sur le torse et les bras.
— C’est une tuerie. J’adore, il ajoute, sourire aux lèvres mauves, se séchant avec son t-shirt avant de remettre son pull et d’envisager de se rhabiller le plus vite possible. C’est définitif, si Jules ne le prenait pas pour un malade mental jusqu’ici, c’est à présent le cas.