Je l’observe depuis quelques minutes maintenant, silencieux, conscient de ne pas avoir été repéré par mon vis-à-vis. Je rôde, tel un monstre à la recherche du moment opportun pour s’abattre sur sa victime. Je guette attentivement, pourvu d’une hésitation qu’il m’est difficile de contourner. Deux jours se sont écoulés depuis cette fameuse soirée de lancement. Nous nous sommes croisés, bien-sûr, impossible d’espérer un phénomène inverse quand on sait le nombre de fois où nous sommes réunis, que ce soit pour partager un repas tous ensemble, une soirée ou simplement pour répondre à un appel de Georges. Nous n’avons cependant jamais partagé un moment rien que tous les deux, comme avant ou presque quand on sait ô combien les choses sont différentes entre nous à présent. Je me mordille la lèvre inférieure, nerveux, et me décide à le rejoindre. « Tu tombes bien, c’est toi que je voulais voir ! » Je démarre, pour éviter un silence qui nous gênerait tous les deux et annoncer ma présence par la même occasion. Le miroir qui nous fait face me permet de réaliser qu’il a reporté toute son attention sur moi sans pour autant se retourner puisqu’il me perçoit aisément de la sorte. Tu ne sais plus quoi dire, car non… Tu ne cherchais pas spécialement à le voir, pas tout de suite, pas à cet instant précis. Que pourrais-tu utiliser pour le convaincre du contraire ? Un éclair de génie semble me traverser et animer ce sourire qui s’étire davantage. « Tu m’apprendrais à danser le Jive ? C’est la danse que je préfère quand je regarde les émissions de danse. Ce n’est pas l’enchainement de pas le plus simple à apprendre, mais avec un professeur comme toi, ça devrait aller, non ? »

Bien des choses ont changé depuis la première saison, mais ce qui ne changera pas, c'est que la salle de gym, pour moi ce n'est pas pour les poids et altères. C'est plutôt pour le grand miroir et l'espace pour m'échauffer et danser. Contrairement au block, là j'ai la chance d'être complètement à l'extérieur, à respirer l'air frais du jour. Ce concept instaure aussi la possibilité d'avoir des regards curieux d'un peu partout, toutefois c'est le dernier de mes soucis à l'heure actuelle. Je ne touche pas à la dernière playlist, j'enclenche le play pour découvrir une mélodie qui irait bien avec mon énergie du moment. Je n'ai pas à improviser longtemps avant d'enchaîner vers une chorégraphie, que je répète jusqu'à ce que mon corps se lustre de sueur. Je m'ennuie soudainement de la ventilation d'un studio ou même d'une brise fraîche. Je retire mon tee-shirt pour m'éponger le front et je le dépose tout près. À ce stade, je suis prêt à faire l'enchaînement complet, appuyant à nouveau sur le play de la station de musique de la salle de gym. Près d'une cinquantaine de secondes plus tard, ma cadence est stoppée par une voix très familière. Mes iris se braquent sur le miroir, reflétant la silhouette d'@apollon. Mon regard ne quitte pas le sien, comme si un univers parallèle me protégeait de lui via ce morceau de verre, Ah oui? Moi? Mes sourcils affichant ma surprise, c'est aussi louche que c'est rassurant. Je replace des mèches de cheveux rebelles, le temps qu'il évacue en quoi il me cherchait et à sa question, j'esquissce un sourire, qui se retient de s'esclaffer.  Tu me cherchais pour me demander des cours de Jive? T'es pas chanceux, c'est justement en dansant ça que je me suis fais éliminé à Dancing with the Stars. C'est hyper complexe et ça prend beaucoup de discipline et de précision pour réussir du Jive. Je marque une pause, l'affrontant de front, les mains sur les hanches, reprennent encore mon souffle. Je sais qu'on a déjà une complicité exemplaire, mais tu sais ce que ça représente pour moi de danser avec quelqu'un et y mettre autant d'énergie. Que je lâche, le sourire désolé, mais le regard rassurant. Milo, dans le milieu on lui reproche d'être trop picky avec ses choix de partenaire, ça n'a pas changé non plus. Construire une chorégraphie ou apprendre un numéro avec quelqu'un s'est se dévoiler et partager quelque chose de particulier, le coiffeur le sait ça. T'es déjà prêt à partager ce genre d'intimité avec moi? Que je demande sérieusement, la tête arquée sur le côté. Le Jive, ce n'est pas spécialement un style sensuel, mais il y a des portées, des enchaînements l'un contre l'autre. tout ça. Je ne suis pas certain qu'il s'attendait à autant de sujets crus dès la première semaine, mais autant crever l'abcès le plus tôt possible.

Le beat est bon. J’irais même jusqu’à dire qu’il me donne instantanément envie de me mouvoir en plein milieu de cette salle de sport. De danser comme j’aime si bien le faire au quotidien, que ce soit dans ma cuisine pendant que je prépare à manger ou au salon entre deux mouvements précis. C’est en quelque sorte ce qui fait ma notoriété dans le milieu, mon dynamisme, cette joie de vivre que j’insuffle jusque dans mon métier quitte à avoir l’air du parfait cliché de la coiffure made in comédie musicale. Mes clientes, elles viennent pour obtenir une prestation technique de qualité, bien-sûr, mais elles prennent aussi – et surtout – rendez-vous pour cette bonne humeur, ce petit grain de folie qui leur donne envie de revenir même sans avoir besoin d’un petit coup de ciseaux. Je me concentre pour ne pas me laisser entrainer par ce rythme au risque d’être très rapidement repéré par le camarade que j’observe depuis quelques minutes. Il a gardé ses vieilles habitudes, celles qui faisaient s’envoler mon sourire jusqu’à mes oreilles tous les matins, celles qui me donnaient envie de m’entrainer tout en le regardant de loin. Il n’a rien changé et j’ai de quoi me sentir nostalgique l’espace d’une minute. Il a toujours cette étincelle dans le regard, celle-ci ne s’est pas estompée depuis la fin du jeu, depuis la révélation de son histoire au grand public. Il n’a pas changé, et je crois en être ravi. Je n’ai pourtant aucun droit, aucun jugement à adresser si ce n’est le plaisir de le retrouver en dépit de circonstances que nous connaissons tous les deux. Je suis prêt à m’annoncer lorsqu’il retire son t-shirt, menant mes palpitations à s’emballer en un rappel ironique de la superficialité dont l’humain peut faire preuve. Il est beau, bien-sûr qu’il l’est. Il est temps et il s’arrête immédiatement, figé, les yeux rivés sur moi à travers ce miroir que j’observe donc logiquement, plutôt que lui. « Oui, toi ! Sauf si tu connais un autre Milo et que tu veux me le présenter ! » Une pointe d’humour, comme à mon habitude, comme toujours. Il n’y aurait pas d’Apollon sans les taquineries, pas d’Apollon sans cette lueur dans le regard, pas d’Apollon sans tout ce que nous avons déjà partagé par le passé. J’enchaine sur un mensonge qui, à priori, passe au moins à moitié bien. C’est un début satisfaisant, surtout pour quelqu’un qui ne sait pas mentir. Il s’agit d’une demi-vérité plus que d’un mensonge, j’ai toujours rêvé d’apprendre le Jive. « Je déteste la facilité. J’ai besoin que la barre soit haute, dès le départ ! » Je parle de la danse, bien entendu, à quoi d’autre pourrais-je bien faire référence ? « Ton élimination n’était pas méritée, qui plus est. Je ne dis pas cela en tant que fan… Il n’y a qu’à regarder les notes que tu as obtenu pour savoir que robbed porte maintenant ton prénom. » Je n’ai pas pensé à cela, bien trop occupé à improviser. Cette proximité, la danse à deux, le rapprochement physique nécessaire à cela, les yeux dans les yeux. Il me prend à nouveau de court. « J’ai confiance en toi. » Que pourrais-je bien répondre d’autre, honnêtement ? Je sais qu’il ne fera pas n’importe quoi. « Et toi ? As-tu confiance en toi ? »