Je suis attendu au tournant, je le sais, encore plus après notre discussion de fin de semaine dernière. Jana est en colère, j’irais même jusqu’à dire qu’elle est rancunière. Ses remarques font sens, cela dit, et c’est bien pour cela que je n’ai pas pris la peine d’empirer la situation en lui adressant des commentaires qui auraient pu desservir le propos plutôt que d’arranger les choses entre nous. J’aurais pu faire preuve d’audace en pointant du doigt la même quantité d’erreurs avancée par ses soins pour animer ma propre frustration mais mon expérience en termes de ressources humaines s’avère ici d’une efficacité redoutable. On ne parvient jamais à résoudre un conflit en se reprochant les choses mutuellement, pas dans l’immédiat. Il est parfois nécessaire de verser un bon paquet d’eau dans son vin, d’accepter les reproches sans broncher en attendant le moment opportun pour jouer ses propres cartes. Je le ferais surement, tôt ou tard, par principe, mais je n’éprouve pas le besoin vital de le faire. Je ne compte pas les points et préfère plutôt me concentrer sur mes défauts, ceux sur lesquels je me promets de travailler quotidiennement pour agir différemment. De l’eau a coulé sous les ponts, nous avons pu profiter d’une bonne soirée sur le thème des années soixante-dix samedi soir qui nous a permis de décompresser, de danser ensemble et de retrouver un semblant de complicité et j’ai à cœur de battre le fer pendant qu’il est encore chaud. Je ne veux pas réveiller les derniers camarades qui dorment dans la chambre de ma camarade mais je me soumets à ce risque, prêt à en assumer l’intégralité des conséquences. Armé d’un gigantesque plateau que je dépose à même le sol pour pouvoir grimper sur son lit déserté par son compagnon de nuit, je tapote sa jambe et commence, d’une voix tendre et maitrisée. « On se réveille… Je t’ai préparé une petite surprise ! » Un plateau qui déborde de bonnes choses, rien que pour elle.

Je ne pense pas à mal, ce n’est jamais le cas d’ailleurs. Je ne sais tout simplement pas être mauvais ou méchant sciemment, je ne cherche jamais à me venger, à faire mal gratuitement car ça ne mène à rien. La frustration qui mène à la rancœur entraine également sur la voie d’une aigreur qui gâche tout, tout le temps, et je ne veux surtout pas tomber là-dedans. Je nage plutôt constamment dans le monde de Oui-Oui, à croire en le meilleur de tout le monde sans exception, à m’agacer du comportement déplaisant de certaines personnes sans hésiter à les piquer, mais jamais suffisamment puéril pour me montrer cruel ou peu abordable. Je crois au Père Noël, capable d’affirmer à qui m’interroge à son sujet, qu’@Adrien peut faire preuve d’intelligence et surprendre tout le monde à condition d’arrêter de chercher à tout prix la lumière. Un exemple parmi tant d’autres et une volonté de toujours pointer du doigt la nuance de gris plutôt que de me concentrer sur un noir d’une obscurité effrayante. Je suis pourvu d’un millier de bonnes intentions lorsqu’enfin je m’aventure dans cette chambre occupée, entre autre, par Jana. Je me suis donné à fond, enchainant la préparation de tous les mets qu’elle préfère pour l’avoir longuement observée tout au long de la première saison, lui concoctant un plateau repas qui, je l’espère, saura faire s’effacer l’indifférence qu’elle me sert la plupart du temps pour favoriser la réapparition d’un sourire à la chaleur incomparable, d’un rictus qui fait du bien et qui me manque terriblement. Je ne lui saute pas dessus comme j’aurais pu le faire quelques mois en arrière pour l’embêter, pour la réveiller en un flot sadique de chatouilles. Je ne m’allonge pas non plus auprès d’elle pour quémander des câlins ou lui caresser les cheveux pour un réveil en douceur… J’opte pour une neutralité que je sais préférable dans notre contexte actuel. Elle émerge, petit à petit, et me compare à @Alix, de quoi provoquer mon hilarité. « Comment ça ? Parce que je ne suis pas une bombe mexicaine ? » La beauté d’@Alix est incomparable, cette fille est magnifique. Au même titre que Jana d’ailleurs, mais pour des raisons différentes. Ce que je veux ? Je me redresse pour aller chercher ce fameux plateau. « Ne fait aucun geste brusque, d’accord ? » Je dépose le plateau et annonce, le sourire jusque dans cette voix chantante. « SURPRIIIISE ! »

Je crois me souvenir qu’elle est une grosse dormeuse, Jana. C’est justement pour cette raison que j’ai attendu et pris le temps de tout préparer dans le calme et la bonne humeur, pour ne pas arriver trop tôt dans sa chambre et risquer de la mettre de mauvais poil en la réveillant d’une manière inadaptée. J’ai bien fait d’attendre puisqu’elle peine encore à émerger malgré tout, je lui laisse le temps nécessaire avant de dévoiler une œuvre qui n’a rien d’admirable. L’intention qui compte, comme toujours. Je suis content d’avoir pu regrouper un maximum de choses qu’elle aime pour ce petit-déjeuner que j’espère à la hauteur de sa rancœur. J’aimerais parvenir à apaiser ce regard qui ne brille pas de la même manière avec moi qu’avec les autres. Tout ce que je veux, au fond, c’est retrouver la Jana de ma première aventure, celle avec qui j’ai fait les quatre-cents coups tout au long du jeu. Elle me manque, et j’ai du mal à l’admettre sans avoir à me confronter à ma propre culpabilité puisque je n’ai pas donné beaucoup de nouvelles pendant ce fameux laps de temps écoulé. Je me redresse pour aller chercher le fameux plateau en question, anticipe sur le moindre mouvement brusque et m’élance en un surprise bien trop vocal pour être agréable dès le réveil. Sur le point de me confondre en excuses, je suis interrompu par son sourire, le premier qu’elle m’adresse depuis mercredi dernier, qui fait immédiatement s’étirer mes lèvres à leur tour. Des choses à me faire pardonner ? Elle me tend une perche qu’il serait stupide de ne pas saisir au vol. « Je crois que oui. Il parait que je suis un ami vraiment exécrable tu vois ? » Je lui tire la langue et acquiesce, gêné, lorsqu’elle me remercie pour ce petit geste matinal. « Tu parles, tout le plaisir est pour moi ! » J’aime réserver de petites intentions aux autres, je tente toujours d’être au rendez-vous, même s’il ne s’agit que d’un mot, que d’une note laissée sur le réfrigérateur avant de partir. Il n’y a rien de tel pour bien démarrer la journée. « Je peux rester, bien-sûr… Je ne prends pas le petit-déjeuner par contre, je ne mange jamais avant le sport. En revanche, je peux te proposer un petit massage des épaules pendant que tu manges. »