Manger tous ensemble c’est bien, encore plus lorsque chacun trouve un moyen de mettre la main à la pâte, d’apporter sa contribution à hauteur de ses capacités ou de sa sensibilité. Je valorise énormément ces moments que nous passons tous ensemble, même s’ils ne durent qu’une petite heure ou deux, à discuter, à échanger autour d’un repas copieux comme on pourrait le faire au sein d’une famille nombreuse. Seul bémol ? Lorsque tout le monde décide de prendre la fuite d’un seul coup pour ne pas avoir à se taper la vaisselle, qu’aucun lave-vaisselle n’est présent pour nous faciliter la tâche et qu’on se retrouve à deux pour effectuer cette tâche ingrate. « Crois-moi quand je te dis que ma vengeance sera terrible ! Je les retiens ! » Je souffle, mi-exaspéré et mi-amusé à ma camarade en observant le tas affolant d’items que nous avons à nettoyer. « Je lave, tu essuies ? Tu préfères peut-être l’inverse ? » Le seul avantage que je trouve à envisager la vingtaine de minutes qui seront nécessaires à venir à bout d’un tel amas de vaisselle, c’est que nous n’avons jamais vraiment eu l’occasion d’échanger rien que tous les deux jusqu’à présent. Une occasion en or que je ne tarde pas à saisir, les yeux attentivement rivés sur elle, paré pour une bonne dose de travail en binôme afin d’arriver à redonner à la cuisine un aspect plus habituel, moins chaotique. « Une assiette pour une révélation à ton sujet ? Un set de couverts pour une révélation me concernant ? Je te laisse décider de ce qu'on fait pour les verres et les plats !» Comme pour valider une telle proposition, je lui tends une première assiette. « Il semblerait que ce soit à toi de commencer ! Ne lésine pas sur les détails. » Le diable ne se trouve-t-il pas dans les détails après tout ?

Je ne m’attends pas à une telle répartie de la part de ma camarade, c’est certain. L’entendre imiter le bruit du poney a néanmoins quelque chose de très amusant, du genre à provoquer une hilarité teintée d’une pointe de jugement que je n’arrive pas à contenir, je me mordille la lippe inférieure et m’élance pour une surenchère dans les règles de l’art, comme toujours. Pourquoi en faire peu, quand on a la possibilité d’en faire trop franchement ? On s’ennuierait sans cela, encore plus ici, constamment enfermés malgré le cadre relativement plaisant et – n’ayons pas peur de le souligner – peu restreint. « C’est une désertion sans aucun motif valable à mes yeux. Si tu m’avais dit que tu avais safari ou, à la rigueur, session d’aqua poney, là j’aurais accepté mais non… Un poney seulement, je ne tolère pas. » Je marque une pause, le temps de laisser ce sourire effrayant étirer mes lèvres et me retourne d’un seul coup vers elle. « Le poney, il fait comme ça, d’abord ! » Je m’élance en une imitation enflammée, y allant même de tapotements sur mes cuisses pour mimer le bruit qu’il fait au galop. En roue libre, comme tous les soirs… En roue libre, comme en permanence, sans exception. « Nous ferions un sacré duo de parents cela dit. Bon… Je suis persuadé que tu serais la maman sévère et moi le papa qui se fait manipuler par ses gosses car trop gentil… » Le parfait binôme de flic, comme dans les séries, tantôt la méchante enquêtrice et le gentil qui débarque derrière pour récolter quelques confessions, l’air de rien. « La flemme de frotter, non mais je rêve ! » Je pouffe de rire et attrape une éponge, prêt à me mettre au travail, à frotter avec énergie pour faire briller chacune des assiettes, chaque élément de notre vaisselle plus généralement. J’en profite pour poser les bases d’un nouveau jeu et me délecte de sa réaction. « Toi, si t’étais kidnappée et que tu te retrouvais au beau milieu d’un piège à la Saw, tu serais dans une merde noire ! » Je lui tire la langue et ajoute, taquin. « Si la prod décide de nous proposer une soirée Escape Game ou un truc du genre… Rappelle-moi de ne surtout pas te prendre dans mon équipe ! » Les informations commencent à pleuvoir sur moi et je n’en loupe pas une seule miette, sincèrement intéressé. Je ne l’interrogerais pas autrement. « Encore une maman qui ne répond plus de rien quand elle entend Jolene à la radio… Je pense plutôt à Holly Dolly quand je te vois, mais c’est une autre histoire et un tout autre type de guilty pleasure. » Je ne suis pas certain qu’elle possède la référence et, franchement, ce n’est pas plus mal. En parlant du Texas et de Dolly Parton… « T’es plutôt Texas sauce Walker Texas Ranger ou Texas façon Daddy’s Lessons de Beyoncé ? » Des couverts, je note qu’elle écoutait finalement. Débarrassé d’une assiette, c’est quelques fourchettes que je nettoie en un lot bien garni pour les lui tendre généreusement. « Qu’aimerais-tu savoir ? J’habite à New-York. J’ai décidé de m’installer là-bas à la majorité pour explorer le champ des possibles, chercher ma place et je pense être parvenu à la trouver après bien des tribulations. Je suis chef d’entreprise, si je puis dire. J’ai lancé un premier salon de coiffure à New-York, puis un second après la première saison d’OMB… Je m’apprête à lancer le troisième à Walla Walla et j’aimerais parvenir à implanter mes salons un peu partout à travers les États-Unis sans sacrifier l’esprit familial qui règne actuellement dans les deux premiers. Je ne veux pas perdre l’âme de mon concept en devenant une chaine quelconque. » Une nouvelle assiette, même deux. « À ton tour ! »