C’est un amas de balles qui s’étend sur l’horizon, leur fuite très explicitement interrompue par les limites d’un terrain de tennis que j’inonde d’à-coups de raquette. Un entrainement en solitaire est toujours nettement moins amusant, encore plus lorsqu’il est question d’activités qu’il est généralement plus appréciable de partager à plusieurs. Je profite de la solitude pour travailler mes services, j’irais même jusqu’à affirmer avoir fait quelques progrès depuis le début de l’après-midi sans être certain de parvenir à une telle performance dans les conditions d’un match plus régulier et physique. Je m’égare dans mes pensées, bientôt interrompu par l’arrivée salvatrice d’une Jana qui fait naitre sur mes lèvres un sourire pourvu d’un entrain qu’il est rare de me voir afficher aussi naturellement ces derniers temps. Quelques banalités échangées et un câlin, passage obligatoire lorsqu’on me connait sur le bout des doigts, en besoin constant de tendresse plus que jamais. Sa présence marque la fin d’un entrainement sans véritable objectif et laisse présager un véritable partage placé sous le signe d’une compétitivité qui nous pousse toujours à donner le meilleur de nous-même, l’un comme l’autre. Nous détestons perdre tous les deux, alors imaginez-nous lorsque nous nous affrontons sur un sujet, une activité ou un challenge quelconque. Tous les coups sont permis dans la joie et la bonne humeur. Sa proposition me fait sourire même si je hoche négativement la tête. « Je ne suis pas en colère contre lui. C’est paradoxal, je sais… Je suis juste… Déçu, je crois ? » Il y a de quoi à en juger par son comportement lorsqu’il a appris de la bouche de @Milo pour la perte de mes parents deux ans en arrière. Il a passé l’anniversaire de leur mort, vendredi dernier, à m’accabler de reproches parce que je ne lui en avais jamais parlé, parce qu’il l’avait appris de @Milo à qui je l’avais brièvement mentionné en première saison, parce qu’il ne pouvait, à en juger les sous-entendus glissés dans la foulée, pas avoir confiance en moi et qu’il n’oubliait pas mon parcours tout au long de notre aventure précédente en commun. Un garçon qui passe à côté de ton deuil et d’une journée douloureuse pour empirer la situation et se désintéresse du sujet central pour jouer sur les mots en pointant du doigt des détails sans importance face à un tel anniversaire ne mérite pas de considération. Pas autant que celle qui continue de m’animer. Ajoutons à l’équation son désir pour Min et le fait qu’il se soit senti suffisamment pousser des ailes pour me proposer un plan à trois après cela pour ne pas avoir à me tromper en cas de refus – ou peut-être simplement à évacuer la culpabilité en cas de réponse négative de ma part – et vous obtiendrez le cocktail explosif qui m’a mené à rompre, aussi douloureuse cette décision puisse-t-elle être pour moi. Il faut savoir quand une histoire s’annonce toxique, être capable de se préserver au risque de passer à côté de belles choses au prix d’une grande souffrance plus lointaine. « Jamais… Il n’est jamais trop tôt, au contraire ! » Le plus tôt le mieux, je ne crois pas qu’il soit bon de cogiter ce genre de moments sombres au risque d’être trop lourdement impacté moralement ensuite. J’ai appris à toujours rebondir, à garder le sourire et je compte bien mettre en application tout cela ici. Le petit-déjeuner au lit, je pouffe de rire et balance, du tac au tac, de mon air nonchalant. « Tu as mérité une dizaine de ces petits-déjeuners pour ton sacrifice, tu sais ! J’attendais juste que tu manifestes le désir d’en avoir davantage ! » Je provoque, comme à mon habitude, et me délecte de ses traits délicieux qui passent d’une émotion vive à une autre en un instant. J’observe la distance, l’horizon et observe ma raquette, soucieux de lui offrir une réponse précise. « À la main, derrière la clôture qui démarque le terrain. À la raquette… L’arbre là-bas, ou peut-être même celui encore plus loin derrière, tout là-bas… Et toi ? Tu penses pouvoir me battre à ce petit jeu ? Celui qui perd doit une soirée pyjama et petit-dej le matin à l’autre ? »

Jana, au même titre que moi d’ailleurs, est toujours nettement plus active et productive lorsqu’une compétition est improvisée. Les enjeux sont parfois – souvent, suis-je même tenté de dire – ridicules mais il n’empêche qu’avec un objectif clairement défini et un challenger de taille, tout est nettement plus appréciable. Le même scénario devrait se produire cet après-midi sur un terrain de tennis qui en a surement vu d’autre et qui continuera d’abriter des affrontements nettement plus qualitatifs autour de personnes qui savent véritablement jouer au tennis. Ce n’est clairement pas mon cas, mais j’ai à cœur d’essayer pour le principe. Jana mentionne @Goliath, offre même généreusement d’utiliser son portrait comme une cible pour nos différentes balles de tennis. Si l’idée pourrait être intéressante sur le papier et témoigne de la gentillesse de ma camarade, d’une sympathie à la sauce Jana, je ne me sens pas suffisamment énervé contre mon ancien petit-ami pour avoir recours à un tel stratagème. Triste, déçu et frustré, énormément, mais pas en colère. Je considère les informations qu’elle m’apporte en supplément avec un intérêt grandissant, un large sourire plus sincèrement dessiné sur mes lèvres à présent. « Dans ce cas… Je ne dis pas non ! » Un clin d’œil plein d’humour et un sujet qui dérape du côté d’une nouvelle plainte de sa part, du genre à me marrer, moqueur comme à mon habitude en l’écoutant s’indigner de l’absence d’autres plateaux de petit-déjeuner à l’image de celui que je lui ai concocté la semaine passée. « Pas tout de suite, non. Je vais d’abord attendre que tu zappes cette information. Dès lors que tu auras oublié, je te surprendrais à nouveau. Tu sais quoi… J’attendrais à chaque fois pour réitérer l’opération, ici et à l’extérieur quitte à traverser la moitié des États-Unis pour cela. Tu ne pourras plus rien me reprocher comme ça ! » Une lueur provocante dans le regard lorsque je prononce cette ultime phrase et une promesse que je suis nettement plus à même de tenir puisqu’il s’agit de présentiel : celle de lui donner des nouvelles régulièrement. Des balles à lancer, et une récompense amusante qui ne tarde pas à la faire réagir d’une manière totalement prévisible. « Treize ans et trois mois, ne m’insulte pas s’il te plait ! » Rentrer dans son jeu, j’adore cela. « T’es juste jalouse parce que tu n’as pas été invitée à une soirée pyjama depuis une éternité oui ! » Je lui tire la langue et pourrait presque m’émouvoir de ce qu’elle retient de mes habitudes. « Tu as tout à fait raison. Mais je peux faire des exceptions pour ce genre de choses… Une fois de temps en temps ! Qu’est-ce que tu crois, je ne résiste pas à de si gentilles attentions, encore plus lorsqu’elles viennent de toi ! » Je pousse le bouchon un peu plus loin, jamais à court d’idées pour la faire démarrer au quart de tour. Madame trouve toutes les excuses du monde pour justifier une défaite qui semble inévitable à priori. Sa moue boudeuse me fait craquer, je l’avoue, et improviser une moue attendrie, de celles que l’on peut faire face à un chiot, par exemple. « Ma main, je l’utilise pour me muscler et me masturber hein… Pas pour faire du lancer de javelot ! » Je la vois déjà lever les yeux au ciel de façon théâtrale dans ma tête, l’image est délicieuse et me fait rire d’avance. « T’es aussi sportive que moi, je te ferais dire. On sait tous que le mannequinat repose en grande partie là-dessus ! » Même si, Dieu merci, le milieu évolue très lentement avec son temps. « Serais-tu en train de te défiler ? »

Je considère son idée et me décide à accepter cette proposition qui n’a donc rien de bien méchant. Je me doute que les images risquent d’être utilisées pour heurter le pauvre @Goliath qui va s’imaginer que je me défoule en pensant à lui alors qu’il est plutôt question d’évacuer sainement une déception en lançant des balles sur un arbre à la place de mots que je pourrais être tenté de prononcer à tort et à travers s’il décide d’initier une confrontation que j’ai pris soin de remettre à plus tard jusqu’à maintenant en l’évitant autant que possible. Il ne devrait pas me demander des comptes à ce sujet en théorie, n’était-ce pas lui qui me proposait de le heurter avec des billes de couleur l’autre soir pour exprimer mes émotions et ma colère ? Ce procédé est beaucoup plus pacifique et ne le blessera pas. Je ne supporterais pas de lever la main sur lui, même pour une telle activité. Il n’y a que sexuellement où la violence s’est parfois avérée intéressante avec lui, parce qu’une petite fessée fait toujours son petit effet dans ces instants-là. Mon accord l’emballe mais nous savons tous les deux qu’il y a très peu de chances pour qu’un tel scénario finisse par se produire puisqu’il lui faudrait trouver une photo adaptée, la customiser pour en faire une cible et fournir un effort qui lui paraitra insurmontable sur le moment parce qu’ici tout le monde a la flemme de tout, moi le premier. Nouvel affrontement au sommet, cette fois autour des petits déjeuners à l’image de celui que je lui ai préparé la semaine dernière. Un engagement qui l’exaspère mais fait tout de même briller ses opales d’une lueur espiègle qui me satisfait pleinement. « Tu ne me crois pas capable de tenir mes engagements ? J’en connais une qui va se plaindre à bonne heure que je suis toujours dans ses pattes à taper l’incruste et tout ça ! » Si je ne suis pas très bon pour garder contact, j’excelle à honorer mes engagements et mes promesses, encore plus si elle me permet de retrouver régulièrement une jeune fille qui m’a terriblement manqué depuis notre sortie du jeu. Je provoque, la titille et m’amuse de la voir ainsi être au rendez-vous, faire honneur à ses habitudes en rentrant dans mon jeu afin de ne jamais s’avouer vaincue. « Je te déconseille de l’être. Une sorcière m’a raconté que la jalousie ça rendait hyper moche ! Ils le disent même dans les dessins-animés, tu sais, Disney et compagnie ! » Pas du tout, mais l’aigreur qui découle souvent de la jalousie enlaidi véritablement l’esprit, la personnalité d’une personne sur la durée. « Tu veux finir avec un horrible nez crochu, une verrue sur le pif et une tronche tellement botoxée qu’on ne sait plus distinguer ton sourire d’une quelconque autre émotion ? » Madame laisse sous-entendre que je prends mes désirs pour une réalité et je suis à deux doigts de m’en indigner, bientôt traversé par un élan de confiance qui me fait sourire victorieusement et la pointer du doigt, paré pour la faire réagir un peu plus encore. « On en reparle quand je serais attablé avec de la bonne nourriture préparée par tes soins ! » La provocation pour obtenir d’elle ce que je veux, l’insinuation extrême d’une défaite prononcée par forfait et une Jana qui pointe du doigt la faiblesse des enjeux. « Vas-y, je t’en prie… Nomme ton prix ! » J’attends l’énonciation de ce dernier et attrape une balle pour la lancer très fort, du plus fort que je peux sans prendre d’élan. Pas trop mal, si vous me demandez mon avis. « Tu crois pouvoir faire mieux ? » J’adorerais que ce soit le cas.