Tangerine. (mercredi 14, 7h30)

@caitlyn

Sasha, elle est assise sur la plan de travail, à grignoter un toast au beurre, comme si elle était chez elle. Les gens vont et viennent, comme les sourires qu'elle leur adresse. Il y a un truc avec les premières heures du matin, le calme avant la tempête, la vie encore un peu ouatée, entre deux phases, qu'elle aime tout particulièrement. Tout est lent, engourdi, tout fait plus de bruit. Elle a toujours un peu cette sensation de mi-chemin entre le sommeil et le réveil, ce point qui dure une demi-seconde de plein état total. Elle est toujours un peu en quête de ces moments-là, Sasha, ces moments transitoires, sur le fil, constamment. Au fond, ce n'est pas étonnant si elle-même est toujours à deux doigts de sombrer et, en même temps, à deux doigts de s'élever. Rien n'est complètement simple, avec elle, tout est compliqué, grand, viscéral, et c'est ce qui la fait frissonner. Même les plus petites choses, elle les transforme pour les rendre vivantes. C'est sa vie, à Sasha. Et le jeu, cette passerelle étrange entre être dans la vie et ne pas y être, elle adore. Elle aime se sentir paumée dans l'espace-temps, être retirée brusquement du monde, sans que plus rien n'ait de conséquence. Elle sourit contre son toast en suivant distraitement Caitlyn du regard. Elles se sont sourit, lorsque la blonde est rentrée dans la pièce, ont échangé quelques paroles de politesse, puis le silence était revenu. Mais Sasha, comme toujours, a un peu de mal à rester silencieuse. « Tu dois entendre des histoires folles dans ton auberge, avec tous les clients qui viennent d'un peu partout » elle s'imagine tout haut, emballée par cette idée pleine de poésie, à ses yeux. Elle a noté dans sa tête que Caitlyn travaillait dans une auberge de jeunesse. ça fait partie des petites infos qu'elle aime glaner sur les uns et les autres pour se faire des petits portraits très personnels de ceux qui partagent à présent son quotidien. « Ils sont là pour quelques temps, puis ne vous reverront jamais. ça doit donner envie de se livrer, non ? Puisque leurs secrets resteront là pour toujours. » Parce que les auberges, les hôtels, c'est de ces lieux un peu hors du temps, où la vie se met sur pause, des lieux temporaires, éphémères. « Je crois que je pourrais pas m'empêcher de leur inventer des vies improbables » elle s'amuse, avant de réciter, l'air un peu rêveur : « l'homme en fuite et même lui ne sait pas pourquoi, la femme qui a fini par s'installer là, coincée entre entre deux vies, le voyage initiatique d'un groupe de potes après la mort de leur meilleur ami... » Oui, il y a un truc de presque initiatique, de sanctuaire, dans ces lieux, pour elle, qui relève quasiment du pèlerinage, en un sens. à différentes échelles, pour différentes raisons. Toujours quelque chose d'un peu mélancolique.

Les grasses matinées, ça n'a pas duré longtemps. Dimanche, lundi, deux jours seulement avant que mon corps reprennent son rythme d'avant. Mes yeux se sont ouverts à sept heures. J'ai tenté de me rendormir avant de capituler et de descendre à la cuisine. Je pensais être seule, mais non. @Sasha est là. Je l'ai remarqué dans les coulisses. Elle est belle cette fille, elle dégage un truc, c'est fou. Je la salue d'un simple signe de tête accompagné d'un doux sourire avant de m'installer dans un coin mon café dans la main. Je savoure ma petite brioche, mon petit café. Je profite du silence, si agréable avant l'effervescence de la journée. Sa voix vient briser tout ça. Je l'écoute à demi attentive, mon esprit encore embrumé par les vapeurs du café. J'entends bien des choses oui. Des tranches de vies plus ou moins romancés racontées par des jeunes en manque de confident. Il y a aussi ces gens qui craquent sans prévenir entre le fromage et le dessert et déballe tout sans préambule, ni fausse pudeur. J'en ai vu des gens e équilibre. J'en ai entendu des histoires oui. Certains se livre. D'autres non, je ne force personne tu sais. Je lève ma tête de ma tasse pour la regarder et lui sourire. J'écoute beaucoup. Je me livre aussi des fois, ça fait du bien. Être dans l'échange, le partage, c'est la base du métier. Sans ça le lien de confiance ne se créé pas et gens, une fois partie ne reviennent pas. Je faisais comme toi, au début. Je m'imaginais des vie de fou à partir des tampons sur leur passeport, de leur manière de s'habiller de parler… Plus maintenant. À trop fantasmer sur la vie des gens, on finit par être déçu. Maintenant, j'attends juste qu'on se parle. Si tu y mets la forme, je peux t'assurer que les confidences sortent toutes seules. Il suffit juste de se mettre au diapason, de ne pas les presser et tout vient à point à qui sait attendre. Si tu devais inventer ma vie. Tu dirai quoi ? Elle semble déborder d'imagination. Je suis curieuse de ce qu'elle va me sortir.

Sasha, elle s'imagine déjà totalement Caitlyn façon cottagecore, dans son petit bed and breakfast typique du Royaume-Uni, du moins dans sa tête, entouré d'un jardin anglais, débordant de vie, à cuisiner des oeufs brouillés et du bacon pour ses clients, installés au beau milieu d'une cuisine mi-rustique, mi-tentative de la moderniser un peu, à une table nappée de carreaux bleus, presque assortis au carrelage. Un peu comme le seul bed and breakfast qu'elle ait jamais testé du côté de Brighton. C'est probablement pas ça du tout mais ça la fait rêver de se figurer une vie comme ça, tout en simplicité et en rencontres. Elle l'écoute en avalant tranquillement son toast, Sasha, tout en observant son visage si particulier. Elle avait jamais, auparavant, rencontrer qui que ce soit qui lui ressemble. Souvent, on fait des liens entre les gens, et puis il y a un canevas de trends qui calibre un peu les éléments modifiables aussi, comme les cheveux, le maquillage, les accessoires. Sasha elle-même, elle est jolie mais assez passe-partout, finalement, et c'est surtout ses yeux larmoyants et le fait qu'elle soit très expressive que l'on remarque. Caitlyn, elle est reconnaissable entre mille. « Pourquoi ? Qu'est-ce qui a changé ? » elle demande instinctivement. Oui, elle continue à écouter, Cait, mais c'est pas pareil. Ecouter, c'est bien et important mais c'est terre à terre. Et ça, elle a un peu du mal, Sasha. Elle a trop l'habitude de partir dans des délires du genre tout ou rien. Et quelque part, imaginer les histoires des gens qui sont encore des canevas vierges, c'est ça qui lui plait plus que d'entendre leur vraie histoire, aussi égoïste que ça soit. Elle sourit, s'anime brusquement, retombe sur ses pieds avec énergie et se met à tourner en faisant les cent pas. « Tu me fais penser à une berlinoise, peut-être une musicienne ou quelque chose comme ça. Tu sais, ces enfants prodiges qu'on dédie à un talent, et toi c'était la musique. T'as toujours fait ça, c'était ton identité, ton passé, ton présent et ton futur. Tu voyais pas vraiment le problème, on t'a appris à adorer, sans que tu connaisses vraiment autre chose. » elle se lance sans une hésitation. « Tes parents, ils avaient pas de mauvaises intentions, c'est juste qu'ils t'ont vue être douée et se sont dit naturellement qu'ils allaient t'encourager dans cette voie. Puis un jour, t'as rencontré une fille. La fille. » Ses grands yeux se posent sur Caitlyn, pour y trouver le reflet de la fille. « Complètement différente de toi. Paumée, toujours de sortie, à se perdre la nuit, ses chaussures à la main. Un style complètement excentrique, électrique comme les raves où elle va chaque soir. Et le truc, c'est qu'elle, elle avait pas de plan. Pas de passion, pas d'objectif, juste celui de vivre au jour le jour, d'avancer, de trouver du sens. » Sa voix module l'histoire comme si elle la racontait devant un public entier. Elle adore raconter, Sasha, et elle vit ce qu'elle raconte. « Vous étiez des âmes sœurs, vous viviez l'une à travers l'autre, tu découvrais la vie dans ses frasques et elle goûtait le sens dans ta passion. Mais du coup, c'était pas bon pour vous. Ce qui devait vous tirer vers le haut a fini par vous faire du mal à toutes les deux. » Elle retombe doucement, s'accoude sur le plan de travail, à côté de Caitlyn. « Un jour, elle a juste disparu. T'as jamais su où, même si tu imagines le pourquoi. C'était dans sa nature. Depuis, tu essaies de retrouver l'équilibre, entre ton extrême et le sien. Et elle, elle est toujours avec toi. » Voilà ce que lui évoque le visage si particulier de Caitlyn, avec le mauve sous ses yeux bleus.

Rien a changé… J'ai juste grandi. Je ne suis plus la petite fille qui s'invente des histoires. Maintenant, je laisse mes hôtes tranquilles. Je les ai laissé se confier, sans forcément leur inventer des histoires. J'ai été déçu aussi. Des fois on imagine des choses et quand la réalité arrive. Ça fait mal. Il y a des paroles, des actes qui blessent et marquent au fer rouge. Rien d'insurmontable, c'est du passé maintenant et ma petite auberge a retrouvé son calme. Pour le moment, je me contente de finir mon petit-déjeuner en écoutant @Sasha m'inventer une vie. C'est déroutant, tout ce que mon simple physique peut lui inspirer. Impressionnant ! Je lui souris, subjuguée. J'aurai aimé avoir cette vie. La mienne est beaucoup moins romanesque. D'où te viens toute cette imagination ? C'est dingue avec quelle facilité elle a inventé cette histoire. Même avec tous les efforts du monde, je n'aurai pas réussi. Je ne dis pas que le visage de @Sasha n'est pas inspirant loin de là. Juste que formaliser en quelques mots tout ce que ces traits m'inspirent, je n'y arrive pas. Ta voix fait voyager. C'est hyper agréable. Je t'imaginerai bien lire des histoires pour enfants. Petite, j'aurai adoré avoir des histoires contées par une si jolie voix, le soir avant d'aller dormir. À la place, j'ai dû me contenter de celle de ma mère. Je n'ai rien à lui reprocher. Elle y mettait tout son cœur, mais je ne sais pas… Il n'y avait pas cette magie qu'il y a eu là, à l'instant quand Sasha a conté mon histoire. Une histoire que je ne suis pas prête d'oublier, ça c'est sûr.

Elle contemple Cait une seconde, le temps d'appréhender ce qu'elle dit et comment elle le vit. Sur cette phrase unique, elle démontre à quel point elles ont des fonctionnement opposés, toutes les deux, mais c'est plus une observation qu'elle se fait à elle-même qu'un motif de rupture immédiate. Elle aime les gens notoirement différents d'elle, Sasha, c'est ceux que la heurte le plus. Les gens comme elle, elle les connait, parce qu'elle se connait, et ça l'ennuie rapidement. « Quand je suis déçue ou blessée, ça me donne envie de rêver encore plus » elle souffle pensivement. Parce que flemme de dealer avec une réalité toute flinguée qui ne lui convient pas. Parce que quand elle le fait, elle part toujours en vrille. Finalement, elle lui fait une démo en direct live, à Cait. Elle enclenche le mode délire pour lui pondre une histoire en trois secondes, simplement parce que Sasha, elle a pas vraiment de filtre, autant avec les autres qu'avec elle-même. Du coup, c'est pas très difficile pour elle d'ouvrir les vannes et aligner les mots les uns après les autres, sans réfléchir. Son cerveau, c'est un peu le principe de l'écriture automatique en continu. C'est même pas vraiment conscient tout ce qu'elle lui sort, à Caitlyn, c'est pas nécessairement ce qu'elle voit dans son visage, c'est juste ce qui lui vient quand elle pousse la porte de son imagination. Et ça parait lui plaire, à Caitlyn. « C'est mon petit talent à moi » elle sourit en glissant un petit clin d'œil. Un talent, elle sait pas trop, en réalité, mais c'est son mode de fonctionnement depuis qu'elle est gamine. Elle a toujours été l'illuminée du coin. Son coeur se serre, ses traits s'illuminent et elle s'approche pour se poser à côté de l'irlandaise. « C'est gentil. » Elle est mignonne, Caitlyn, parce qu'au final, elle a pas fait grand chose, Sasha, elle se laisse juste guider. Mais c'est vrai qu'elle a toujours aimé les histoires. « J'en dessine, pour l'instant, t'es pas si loin » elle l'informe. Même si ça doit probablement bien faire chier l'auteur avec qui elle bosse, qu'elle soit partie faire la débilus dans une émission de télé-réalité alors qu'elle devrait charbonner ses illustrations. Mais elle a prévu le coup, Sasha, elle lui a envoyé des drafts d'absolument tout avant de partir pour qu'il ait tout le temps de lui renvoyer mille modifications à faire au retour. « Elle ressemble à quoi ta vraie vie ? En dehors de ton auberge, du coup. » Celle qui n'est pas celle d'une berlinoise en burn out qui tombe follement amoureuse d'un esprit libre.

J'ai l'impression qu'on est deux univers opposé @Sasha et moi. Elle douce, vaporeuse, la tête plantée dans les étoiles, moi sérieuse les pieds sur terre, un peu trop cartésienne parfois. Je te comprends. S'évader en rêvant c'est important. Ça aide à tenir dans les moments compliqués. Rêver, lire, écrire, c'est plus sain que la boisson. Je lis peu, je n'écris pas, je n'ai pas le temps de rêver, mais je parle beaucoup. Mes amis, leurs sourires, nos conversations jusqu'au bout de la nuit, c'est eux ma bouée de sauvetage avec maman et l'auberge bien sûr. J'ai un peu peur que tout ça finisse par me manquer. Après, il y a ici des gens très cools, très intéressants. C'est que le début du jeu. Je suis sûr que je vais vivre de super moments, faut juste que je les laisse arriver sans forcer le destin. Les plus beaux moments sont ceux qui sont inattendus. Tu es douée. Elle sait raconter des histoires et rendre ces instants magiques. Enfin, du peu que j'en ai entendu ce matin. J'ai été totalement charmée. Oh tu as amené des dessins avec toi. J'aimerai voir ça. Je suis sûr qu'ils doivent être hyper beaux. Surtout s'ils sont destinés à émerveiller des enfants. Enfin, si ça ne te dérange pas. C'est peut-être son jardin secret. Je n'ai pas envie de la forcer. C'est celle d'une jeune irlandaise d'une vingtaine d'années tout ce qu'il y a de plus classique. Je travaille beaucoup à l'auberge. Quand j'ai des temps libres, je me balade en ville, sort au pub avec des amis. Je traine beaucoup sur les réseaux sociaux. J'aime partager des découvertes, photos, vidéos, musiques et échanger avec des gens même de l'autre bout du globe. Je rêve de voyage quand j'aurai un peu plus d'argent et que je pourrai me le permettre… On My Block est l'un de mes premiers grands voyages. C'est un peu un saut dans l'inconnu pour moi cette aventure. Je me sens bien. Je commence à m'habituer. Wow, je ne pensais pas me confier autant. C'est venu tout seul. À croire que j'en avais besoin. Je regarde @Sasha tout sourire. Ça fait du bien de se confier, même à une fille qui jusqu'à samedi était une parfaite inconnue.

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