@beau

Sasha avait transmis ses instructions à Beau dès le dimanche matin, en lui envoyant plan, idées, dossier complet de projet, devis et demandes de subventions. Tout était prêt, paré et au clair, manquait plus que l'application. ça faisait des semaines et des semaines qu'ils attendaient de le faire, ce gâteau commun, et une fois qu'ils ont retrouvé la cuisine avec de l'électricité et la possibilité de se mettre à l'œuvre, les deux avaient été presque géré le truc comme des CEO qui font passer une réforme dans l'entreprise. Comme des boss. Là, le moment, il est venu. Beau a pu plancher sur le projet, analyser, visualiser, réaliser une maquette puis établir une recette. La partie créative de Sasha, elle était globalement finie à ce stade, mais elle avait quand même envie de participer à la seconde phase de leur petit défi. Au début, elle était un peu tentée de l'envoyer bouler, Beau, parce que ça fait quand même un moment que c'est compliqué avec Eloïm et que là, avec les récents événements, elle est bien obligée, par principe, de prendre le parti de son boy ultime. Puis finalement, elle avait abandonné l'idée, surtout parce qu'Elo le lui avait demandé. Et qu'elle est pas tellement rancunière, Sash. Puis elle l'aimait trop, Beau, à toujours la suivre dans ses délires chelous. C'est déjà arrivé qu'ils fassent fuir un autre résident, trop plongés dans une conversation sans queue ni tête. « C'est bon je suis prêteeee » elle débarque avec son petit tablier et tout le bordel. Elle se croit clairement dans le meilleur pâtissier, Sash, elle est prête à péter les scores, hurler de rage sur du fondant qui se place pas correctement ou du sucre soufflé ou elle ne sait quelle perf de professionnel il va leur sortir, Beau. « Quelle version t'as préféré ? » elle demande avec curiosité en voyant tous ses croquis étalés sur le plan de travail. C'est principalement la déco qui change, vu qu'elle n'a aucun pouvoir sur la recette en elle-même. Elle s'est amusée, entre un gâteau très classique et classe tout court, un autre complètement perché et un dernier très art moderne. « Non attends dis rien, comme ça j'aurai la surprise à la fin » elle se reprend brusquement en collant sa paume sur ses lèvres pour l'empêcher de la spoiler. Elle file se laver les mains puis revient près de lui, ready à jouer les commis. « On commence par quoi chef ? » elle demande super enthousiaste. ça lui plait de rentrer dans son monde à lui et expérimenter sa passion. Surtout après l'avoir entendu en parler avec autant d'émotion.

Nous y sommes enfin, le moment de vérité. Voilà plusieurs semaines que ce challenge est lancé, comme une promesse de s’activer tous les deux pour donner vie à un projet complètement fou, à notre image. Un passage de relais, du dessin à la conception pâtissière. Les coups du sort se sont enchainés, une première semaine vouée à dessiner des croquis, le mécontentement d’une Sasha perfectionniste à souhait jusqu’à arriver à des pistes plutôt intéressantes, à vrai dire. Tout cela pour que l’électricité soit coupée du jour au lendemain et ne me permette pas de passer à l’action, à mon tour. Une semaine à ronger son frein sans pouvoir faire autre chose que d’accepter l’inévitable. Puis une deuxième surprise, ce temps que nous avons passé loin de la caserne et de la civilisation pour cohabiter sur une île comme les survivants que nous ne sommes clairement pas. Cette fois, plus la moindre excuse, il est grand temps de passer à l’action et je suis impatient, excité également. Il ne me reste plus qu’à éviter un échec phénoménal qui me grillerait pour le restant de mes jours. Bon, peut-être pas, parce qu’il n’est pas rare qu’un pâtissier se foire sur un projet et soit obligé de recommencer mais c’est ma fierté qui ne s’en relèverait pas. Le moment de vérité est enfin arrivé après plusieurs jours de préparation. Je me suis occupé de réunir l’ensemble des ingrédients nécessaires à l’accomplissement d’un tel projet, il ne manque plus que la jeune femme qui débarque armée de son plus joli tablier. « Une vraie petite cheffe pâtissière ! Le tablier te va à ravir ! » J’admets, en un très large sourire, pendant que mes prunelles passent de mon propre tablier au sien. Les croquis sont tous là et ma décision n’est pas encore totalement prise. « À vrai dire, je me suis concentré sur une préparation très ciblée et globale à la fois. Je sais exactement ce que sera la base commune à chacun de tes croquis, je me suis plutôt attelé à repérer les spécificités à apporter à chaque idée et… J’hésite encore entre… » Pas le temps de poursuivre qu’elle me coupe d’une main appuyée contre mes lèvres et quémande la surprise jusqu’au bout. J’acquiesce. « Très bien, dans ce cas… Au travail ! » Je suis excité comme un môme que l’on emmènerait au parc d’attraction. « On va commencer par cette fameuse base de gâteau. J’ai regroupé un petit tas d’ingrédients là-bas, les poudres d’un côté, les liquides de l’autre. Je te laisse le soin de mélanger les poudres pendant que je me charge du reste ? » Une collaboration d’un bout à l’autre, ni plus ni moins. C’est tout ce que j’adore avec Sasha, on part dans tous les sens, certes, mais on le fait ensemble. J’ai une question qui me brûle les lèvres depuis samedi soir, though. « J’ignorais que vous étiez proches à ce point, @Elvis et toi ? » La curiosité, certes, mais aussi un intérêt grandissant pour elle et son bonheur. Parce qu’elle mérite le monde, cette fille !

Elle fait une petite pirouette en tournoyant sur elle-même pour qu'il admire sa dégaine de chef cuistot de série télé, @Beau, avec son tablier, son chignon et ses manches relevées. Puis elle se marre, parce que ça la met de bonne humeur d'être finalement là, ready comme jamais à faire la pâtisserie et assembler le plus beau gâteau du monde, clairement. Parce qu'avec une équipe pareille, elle voit pas trop comment quiconque pourrait rivaliser. Les deux, ils sont pires que des crackheads, chacun avec leur passion respective. Beau, tu dois presque le sortir de force de la cuisine pour que les autres en profitent et faut lui retirer des mains la pelle à gâteau et les moules en inox pour qu'il accepte d'aller dormir. Sash, c'est la même, sauf qu'elle, c'est ses feutres et ses cahiers. Elle l'écoute un moment, fascinée, avant de capter qu'il va trop loin, beaucoup trop loin et qu'elle, elle préfère voir le truc évoluer au fur et à mesure, sans avoir une idée précise de ce qui arriver. Alors il lui désigne simplement la panoplie de petits récipients et d'ingrédients secs. « A vos ordres » elle se met au garde-à-vous et se décale jusqu'à sa propre station de travail. Elle récupère le grand récipient, celui dans lequel elle va tout mélanger, s'apprête à attraper le bol de farine, quand soudain, elle revoit toutes les vidéos de cooking et baking devant lesquelles elle a passé des heures sur Youtube, vers trois heures du matin, sans raison à part la satisfaction cheloue de voir la pâtisserie se former. « Tu veux que je passe tout au tamis ou je fais à la sauvage ? » elle demande, juste pour être sûre. Elle a pas envie que leur première expérience de pâtisserie vire au désastre parce qu'elle aura pas tamisé les ingrédients en poudre et que ça fera pas la texture exacte que veut Beau. Et puis c'est son truc à Beau, elle veut le respecter. Même si, elle, dans la vie de tous les jours, elle se contenterait de tout taper sans ordre ni distinction dans un grand saladier et tout passer au batteur électrique, elle veut faire les choses bien, comme lui les ferait. Pour comprendre et vivre son truc. Beau, il balance une petite question qui la fait s'arrêter net et lever un air surpris vers lui. Son regard éloquent plus que ses mots la renseignent sur la nature exacte de la question et elle sait plus trop où se mettre, d'un coup. Elle a les joues roses, Sash, ses mains triturent le petit bol qu'elle tient, mais elle offre un grand sourire à Beau. « On a toujours été très proches, je sais pas pourquoi tout le monde a l'air de le remarquer seulement maintenant » elle pouffe de rire. ça fait une semaine ou deux que les gens commencent à se réveiller et à s'interroger sur leur complicité alors que vraiment, ils sont collés comme des chewing-gums depuis six semaines. Sasha, elle a pleuré toutes les larmes de son corps quand elle a su qu'elle dormirait plus avec lui, à son premier changement d'équipe, elle se trimballe son bracelet au poignet non stop et lui n'a jamais enlevé la bague qu'il lui a prise et qui trône au bout de l'un de ses colliers. Mais dans le fond, ça ne la dérange pas, elle est bien à vivre son amitié avec Elvis sans qu'on vienne l'embêter avec les rubriques, le ficha public, les commentaires, les questions. Elle laisse tout ça aux tempéraments beaucoup plus visibles. Puis Elvis, il avait eu tous ses bails à gérer, à un moment donné, donc la place de la bff, elle passait un peu à la trappe, c'est normal. « J'ai l'impression qu'il a toujours été un peu avec moi » elle lui souffle, à Beau. « Comme si je le connaissais déjà avant de le rencontrer, tu vois ? » C'est vraiment ça qu'elle ressent, Sasha, une sorte de paix, une évidence qu'elle verbalise depuis le tout début. Un truc étrange qui arrive pas souvent, voire jamais. Comme l'impression de retrouver une partie d'elle-même qui était perdue quelque part dans le monde et sans laquelle la plupart des gens sont condamnés de vivre. « Si tu savais un truc que je sais pas, tu me le dirais hein ? » elle demande finalement comme une conspiratrice, en zieutant la porte. C'est ce truc qu'il a dit à Eloïm et qui a été diffusé pendant la chronique d'Apollon qui lui tourne dans la tête sans qu'elle puisse s'en empêcher, sans qu'elle puisse contrôler les battements erratiques de son cœur dont elle pige pas les messages. Elle avait obligé Elo à lui répéter toute la conversation du début à la fin au moins trois fois pour finalement, avoir eu besoin d'une bonne demi-heure pour se calmer. En pensant à Eloïm, son cerveau fait un cent quatre-vingt degrés total. « Btw, t'as de la chance que j'ai renoncé à te faire la tête au carré » elle se rappelle brusquement, en tournant vers lui un regard furibond. Il sait très bien, très très bien pourquoi elle a eu envie de lui casser la gueule, Sasha. Parce qu'elle l'avait prévenu qu'elle le ferait s'il faisait de la merde avec Eloïm et c'est exactement ce qu'il s'est passé. « Mais c'est pas impossible que je change d'avis » elle lui lance une petite moquette de pâte à la figure en guise de représailles et de menace, avant de se marrer. Mouais. C'est pas exclu qu'elle mette son petit doigt dans un bol d'eau pendant qu'il dort, Beau. « T'en es où, du coup ? » elle lui demande finalement, plus douce, en retrouvant son sourire. Beau, il a vendu directement le truc en lui disant qu'il était pas du genre à se poser et il avait tenu parole. Mais elle entendait des trucs, Sash, comme tout le monde ici. Et elle devinait des trucs, aussi.

Je m’amuse de son entrain, attendri – comme toujours – par cette petite pile électrique que j’ai sous les yeux. Elle se fait un malin plaisir à tournoyer pour m’exposer son tablier, la toque qu’elle a enfilé comme la cheffe pâtissière qu’elle pourrait véritablement devenir dans une autre vie. J’ai le sourire jusqu’aux oreilles, l’œil qui pétille, ravi de pouvoir partager cette expérience en sa compagnie. Après des semaines et des semaines à batailler contre les imprévus, il est maintenant temps d’arriver au bout de ce challenge qui nous aura tenus en haleine pendant plus d’un mois. Il nous correspond bien, ce projet. Mélange d’une passion débordante et d’une sensibilité artistique à fleur de peau, teintée d’inspirations qui nous viennent mutuellement au contact de l’autre, de notre cadre et du prisme des possibilités qui s’offrent à nous constamment. C’est agréable, de côtoyer quelqu’un qui sait lire en toi sans pour autant tout partager des spécificités de ton art. Les subtilités du dessin m’échappent parfois, même si j’ai souvent l’habitude de griffonner des horreurs pour avoir une base sur laquelle travailler ensuite. De son côté, j’imagine que certaines techniques lui apparaissent très obscures, pour ne pas dire totalement incompréhensibles. Complémentaires, nous le sommes, en plus de former un excellent binôme qui carbure à l’énergie, la bonne humeur et l’amour du risque. Se planter maintenant serait une véritable déception, aussi bien pour elle que pour moi. L’heure de vérité est arrivée et j’ai hâte… Tellement que j’en ai une boule au ventre, de celles qui permettent d’avancer et expriment une bonne pression, celle qui donne envie de tout casser et d’aller au-delà de ses propres limites. Je me retrousse les manches, me lave les mains une énième fois et me les frotte. Paré au décollage. Les produits secs de son côté, les liquides du mien. Un véritable travail d’équipe, nous irons jusqu’au bout ensemble, quitte à se crasher tous les deux. Elle se met au garde-à-vous et j’explose de rire, l’imite avec beaucoup d’attention et hurle, d’une voix extrêmement grave et autoritaire. « Repos soldat ! » On a du pain sur la planche mais aucun impératif de temps. Nous en finirons lorsque le moment sera venu, pas avant. Pourquoi se précipiter quand nous n’avons littéralement que cela à faire, ici ? Sa question me fait sourire, elle est attentive, Sasha. « À la sauvage. Tu peux même rentrer à fond dans le personnage si tu veux et te mettre à grogner comme un sauvageon préhistorique ! » Comment ça, j’abuse ? Il n’y a aucun mal à tendre des perches pour se fendre la gueule, franchement. Je suis persuadé qu’elle ferait cela très bien, qui plus est. Elle a du potentiel, cette petite. Attentif à ma préparation liquide, je pose la question qui me brûle les lèvres, qui titille l’intégralité du block au même titre que la relation que nous entretenons @Salem et moi. La surprise est totale, à en juger par son regard et pourtant j’imagine qu’elle s’attendait à ce qu’elle tombe, tôt ou tard. Peut-être qu’elle ne m’anticipait pas sur ce terrain mais la curiosité prend le dessus sur le reste parce que je l’apprécie, tout simplement. Si elle s’appelait @Kairi, par exemple, je n’en aurais pas grand-chose à faire de sa vie amoureuse. Cette forme de curiosité n’est donc pas péjorative ou maladive. Il s’agit juste d’un intérêt profond pour ce grand cœur qui bat sous sa poitrine. Elle mérite d’être heureuse, Sasha, et pas uniquement parce qu’@Elvis pourrait être trop proche de @Salem… Pas que… « Il y a une différence entre la proximité amicale et cette odeur de romantisme, d’attachement qui plane dans les airs. Il se passe quelque chose entre vous, j’me trompe ? » Je ne recherche pas le sensationnalisme. Je me demande surtout si elle passe par le même océan d’émotions foireuses que moi, actuellement. Elle est peut-être plus à même de gérer cela, ce tumulte qui retourne l’estomac et le cœur à la fois. Je suis extrêmement mauvais à ce petit jeu, incapable de m’attacher à quelqu’un d’autre à ce point émotionnellement. L’exception à la règle. « Comme si vous vous connaissiez depuis toujours ? Comme une évidence ? » Je reprends, d’un hochement de tête qui exprime à merveille ô combien cette sensation m’est familière. Ses mots résonnent de façon énigmatique dans ma tête, du genre à me faire froncer les sourcils, incertain. « Si je savais un truc que tu ne sais pas… C’est-à-dire ? À quel sujet ? » La confusion est totale et me pousse à renoncer à mon mélange pour lui accorder toute mon attention. Ses yeux parlent toujours davantage que ses mots, ils en disent long. Les menaces, cette agression à la pâte et des éclats de rire pour dissimuler la gêne que m’inspire toute cette conversation autour d’@Eloïm. « Je te demande pardon mais… Tu sais… » Non, elle ne sait pas… À moins que… Peut-être qu’elle a compris, après tout. « Je ne venais pas ici pour rencontrer quelqu’un au-delà du sexe… Je suis plutôt bien parvenu à garder le cap même si @Eloïm… Je serais hypocrite de prétendre qu’il n’a pas fait chavirer mon petit cœur à plusieurs reprises. » Il l’a fait, vraiment… J’ai toujours été sincère avec lui, entier jusque dans nos derniers véritables instants, ceux qu’il ne m’accordera plus jamais et que je ne me sens plus du tout à même de lui offrir pour d’autres raisons. « J’ai compris quand il s’est mis à parler que je ressentais la même chose que lui… Oui… Pour quelqu’un d’autre. » Je grimace, l’air désolé, et attrape une pincée de farine pour en créer une pichenette poudrée qui s’abat sur son visage. « VENGEANCE ! »

Elle pouffe de rire, Sasha, en lui balançant la pire grimace de teubé qu'elle peut façon femme des cavernes. Mais elle note qu'elle peut y aller franco, en freestyle presque total comme elle aurait eu l'habitude de le faire s'il n'avait pas été là pour monitorer ses skills d'apprentie pâtissière. Elle empoigne donc les premiers ingrédients préparés par @Beau pour entamer son petit mélange de sorcière de la bouffe. Quand elle était môme, elle aimait toujours regarder sa mère préparer des pâtes à gâteau, à cookies ou n'importe quel autre goûter qu'elle se prenait la lubie de faire. C'était un peu cette même fascination que lorsqu'elle s'amusait à mélanger les shampoings et gels douches entre eux pour assembler des potions magiques que personne d'autre dans la maison ne pouvait soupçonner. Il n'y avait que son frère qui la voyait faire de loin, en s'amusant de ses bêtises. Alors forcément, elle retrouve cette simplicité quand ils s'affairent chacun de leur côté, avec Beau. Quand elle glisse de temps en temps un regard vers lui, elle se sent heureuse de le voir souriant et apaisé, après un début de jeu compliqué. Elle, elle a accroché directement avec lui. D'abord de loin, pendant qu'elle le regardait jouer son personnage d'inexorable lyrique et grandiloquent. ça l'amusait beaucoup, au-delà du réel fond de ce qu'il disait parfois. Puis leur passion les avait rapprochés, et probablement leurs personnalités naturellement expansives et pleines d'emphase. Elle aime sa façon d'être lui sans détour, de ne pas prendre de pincettes, d'être simplement honnête. Même quand il ne lâche pas l'affaire en lui parlant d'Elvis. Elle est là, Sash, à sentir ses joues bruler, son coeur battre et elle est propulsée directement à sa soirée de la veille, passée avec lui, planqués dans la bibliothèque. Sa question, elle a pas vraiment envie d'y répondre, ni même de la poser, parce qu'elle est bien, là, dans leur amitié fusionnelle, remplie d'amour et de fraternité, ce tout à la fois qu'ils partagent depuis le tout début. Elle se fiche des mots à mettre dessus, même si ils pétillent parfois derrière ses prunelles pour la rappeler à ce truc incompréhensible dans son coeur quand elle y pense. Et en même temps, si les gens commencent à s'interroger, et à les interroger, c'est forcément qu'il y a un truc différent. Un truc qui a changé. Et ça aussi, ça agite son coeur. « D'accoooord, d'accord » elle finit par concéder, les mains en l'air en signe de reddition, incapable de retenir le sourire qui nait sur ses lèvres. Elle sait même pas pourquoi elle se prend la tête, Sasha, alors que leur complicité s'est construite de manière absolument instantanée, avec Elvis et n'a été que croissante avec le temps, en dépit de tout ce qu'il s'est dit sur un peu tout le monde. Probablement parce que c'est trop évident, justement, et qu'elle est de ces mômes qui aiment se prendre la tête pour rien, Sash. Juste pour le kiff de la douleur. « Il y a un truc qui en train de changer entre nous » elle finit par avouer, les mains retombant sur le plan de travail, sans parvenir à trouver d'autres mots plus clairs ou plus précis. Les mots, à la base, c'est pas tellement son truc, à Sasha. Elle a appris avec le temps et en se forçant mais là, tout de suite, elle aurait préféré lui dessiner, à Beau. « Et quoi que ce soit, j'ai pas envie que ça s'arrête » elle relève vers lui un regard larmoyant, le genre qu'elle livre avec tout son coeur et toute l'émotion qui malmène son monde. ça la bouffe même, tant elle a pas envie que ça s'arrête. « J'arrive pas à le sortir de ma tête » elle souffle dans un sourire de môme, avant de hocher doucement la tête. Oui, c'est exactement cette sensation-là. L'évidence qu'elle ressent depuis le début, un truc pas vraiment explicable mais qui les a rapprochés directement, tous les deux. Elle sourit bêtement une seconde, avant de battre des cils et de poser sur Beau un regard méfiant. « Comment tu sais ça, toi ? » elle avance en ourlant un petit sourire taquin. Beau, c'est un lyrique, elle l'imagine parfaitement à même d'appréhender ce genre de sentiments chez les autres même s'il ne les ressent pas lui-même, mais il y a quelque chose dans sa voix, dans son expression... Elle hausse les épaules doucement, perdues dans ses pensées. Rien, rien, des bêtises. Mais ça fait germer un truc dans son esprit et à voir l'air mal à l'aise de Beau, elle comprend que c'est pas rien. Et que c'est pas son rôle d'intervenir d'une quelconque façon. « Moui. » Elle, elle a surtout assisté à la souffrance d'Eloïm, heurté par les rejets successifs de ceux à qui il avait beaucoup trop donné. Elle s'est inquiétée pour lui, Sash, parce qu'elle ne sait que trop bien tout ce que ça fait. Sauf qu'elle, elle embrasse la douleur là où les autres la subissent, simplement. Et peut-être qu'Elo, après la perte de son frère à lui puis la perte de son frère à elle, il devait prendre le temps pour lui de se reconstruire, de vivre autrement qu'à travers l'importance qu'ils donnent aux autres. Peut-être qu'il a besoin de ça, peut-être qu'il est trop sensible, qu'il doit apprendre. Elle est la plus mal placée pour dire quoi que ce soit à ce sujet. Par contre, elle entend les paroles de Beau, elle les entend réellement, et son coeur sursaute et elle a brusquement envie de le prendre dans ses bras. Et elle le fait, incapable de se contenir. « T'as pas à te justifier de quoi que ce soit, tu sais, personne ne contrôle ses sentiments et ça ne serait pas juste de te reprocher de ne pas vouloir les forcer » elle expulse simplement, en s'écartant pour lui offrir un beau sourire complice. « Enfin pour lui, en tout cas. Je suis trop contente pour toi. » Elle dit rien, elle verbalise pas même si elle imagine, elle devine. C'est une aventure, pour Beau. Une véritable aventure et pour ça, elle est heureuse. « Mais bon, je t'insulterai quand même de tous les noms devant lui pour qu'il se sente mieux, sache-le. » elle fait mine de l'avertir avec sévérité, en retenant un rire. Alors elle réintègre son poste de travail sauf qu'il la coupe dans son élan d'une attaque de farine qui le fait éternuer dans son coude et la laisse choquée, face à une sournoiserie qu'elle ne soupçonnait pas chez lui. « Tu cherches la GUERRE, Beautiful mouahaha » elle s'exclame en explosant de rire et en attrapant une poignée entière de farine pour la balancer dans sa figure puis en sautant en arrière pour se planquer loin de sa portée, avec un sourire machiavélique sur les lèvres.