« Heureusement que tu invites, tu es le seul d’entre nous qui validera sa cagnotte, ici. » Moue boudeuse, parce qu’il pourrait s’agir de mon unique source de frustration, celle de repartir de l’émission les mains vides, sans le moindre dollar à injecter dans mes projets personnels, encore plus quand on sait à quel point ma cagnotte était généreuse juste avant mon élimination. Le même constat s’applique à @Kai qui s’est débrouillé comme un chef tout au long de la saison, en pole position à mes côtés, et qui se retrouve avec rien, si ce n’est ce qu’il avait en arrivant. Il faut savoir accepter la défaite quand on s’engage dans un jeu, la frustration et l’aigreur ne rendent service à personne et pourrissent les parcours plus qu’autre chose. Cette semaine de vacances aux frais de la Production fait donc office de récompense, voilà ! Son anniversaire, celui que nous avons en quelque sorte gâché mon camarade vipère et moi avec la révélation de nos secrets respectifs. La mort nous enveloppe chacun à notre manière. Lui, par le passé, et moi dans le futur proche. « Nos présences ici cette semaine sont donc le cadeau ultime, c’est ça ? » Je le taquine, mutin, en papillonnant des yeux pour le charmer un peu plus encore. Je m’installe en face de lui, mon pote Kai à ma droite. « Un punch ? Juste un, hein ! Avec le soleil de plomb qui cogne sur nous, je risque d’être pompette à bonne heure ! » Parce qu’on sait tous à quel point je ne tiens pas l’alcool, trop jeune et surtout peu habitué à en consommer. Il nous remercie, Salem, et j’ai le sourire qui s’emballe, un regard que je réserve à notre vis-à-vis et une pensée, peut-être encore trop vive, sous le coup de l’émotion. « Tu devrais venir vivre près de nous… Où que l’on finisse… » Je ne veux pas avoir à me séparer de lui, c’est la famille, Kai, et je reste toujours proche de ma famille. « Aux vipères et à notre aventure. Parce qu’on a sacrément bataillé pour en arriver jusque-là, avec toi probablement en finale samedi soir ! »

Tu laisses apparaître ce mince sourire. Une petite craquelure dans la muraille que tu t'autorises avec tes deux acolytes. T'as l'air distrait alors que tu les écoutes blablater. Ton regard perdu dans le décor magnifique. La location du restaurant est chargée d'histoire, un peu à l'image de votre aventure. Ton attention se reporte vers le seul toujours en liste parmi vous trois lorsqu'il te remercie. Je vais pas cracher sur une croisière gratuite. Tu ripostes d'un ton laconique. T'as pas besoin d'en dire plus, tu t'es tellement livré lors de la révélation de ton secret que plus rien est à dire. Ils savent à quel point tu les aimes. T'as à la fois ce poids qui s'est retiré de dessus tes épaules et cette impression de vulnérabilité. C'est comme être à nu. Heureusement que tu peux toujours compter sur @Beau pour détendre l'atmosphère de part son imbécilité attachante. Tu l'imagines pompette comme il dit. Probablement du genre à se mettre à flirter encore davantage, danser, rigoler, déblatérer un milliard de paroles à le seconde. Faire des plans sur la comète. D'ailleurs, il s'y met. T'en as le souffle coupé et ton regard glisse vers @Salem comme le questionner. Il est pourtant loin de l'état d'ivresse le pâtissier. Si ce n'est l'ivresse de vivre. Jusqu'à ton vingt-cinquième anniversaire. Tu réponds simplement. Une promesse silencieuse, des plans dont toi seul connaît le secret. Aux vipères.

J’ai du mal à me refaire à ces habitudes que nous avons eu tout le loisir d’oublier ces dernières semaines. Cette liberté est à nouveau la mienne, celle d’être moi-même, sans avoir à dissimuler le moindre secret ou calculer les nominations des uns et des autres en espérant parvenir à tirer mon épingle du jeu. L’élimination a du bon, sur cette croisière, parce qu’elle m’offre la possibilité de véritablement profiter sans avoir à me prendre la tête avec des stratégies qui ne font pas sens ou avec des candidats qui ne m’intéressent pas vraiment. J’ai le choix, celui de poursuivre des efforts qui n’ont plus forcément lieux d’être ou tout simplement de rester moi-même et de concentrer le plus clair de mon temps à ceux que j’estime en valoir la peine. Mes deux vipères sont clairement en haut du panier, Salem au sommet d’une chaine alimentaire qu’il a su conquérir sans même me demander mon avis. Cette affirmation se formule surement dans les deux sens, puisqu’il n’était pas prévu que cette histoire se concrétise de la sorte. Le bonheur est souvent là où on ne le cherche pas. L’alcool et moi ne faisons pas bon ménage, pas parce qu’il me rend lourd ou violent, plutôt parce que j’ai connaissance de mes propres limites en la matière et que je déteste m’afficher sans en avoir conscience, même si nos camarades pourraient s’empresser de dire que je l’ai déjà plus ou moins fait ici, tout au long de mon parcours résolument chaotique. « Je ne dis jamais non à une sieste crapuleuse, si tu insistes ! » Un clin d’œil réservé à Salem qui m’a tendu une perche et devait forcément s’attendre à ce que je riposte d’une manière ou d’une autre. C’était évident, je ne laisse jamais rien passer sans rien dire. J’adresse un regard complice à Kai et me concentre sur ce fameux punch qui nous est apporté par un membre de l’équipage fort aimable. À consommer avec modération, donc. Je prends mes deux camarades de court lorsque je propose à mon binôme vipère jaune de nous suivre au bout du monde ou presque… C’est aussi la première fois que je confesse être prêt à me délocaliser pour ne pas quitter Salem parce qu’il est temps de se positionner, de se risquer à envisager la suite des événements au-delà des semaines qui m’ont été garanties par mon petit-ami à San Francisco. Vingt-cinq ans, je le regarde et esquisse un léger sourire. « Jusqu’au bout, si tu me supportes jusqu’à là ! » Je ne suis plus vraiment en difficulté quand il faut en parler, je me suis habitué, au point de savoir plaisanter à ce sujet sans ressentir ce pincement au cœur qui pourrait l’accompagner… Qui l’accompagnait autrefois. Je n’ose même pas croiser le regard de Salem, parce qu’il pourrait m’inspirer ce fameux sentiment que j’évite, ce besoin de ne pas souffrir davantage d’une fatalité qu’il est difficile – si ce n’est impossible – de rectifier. « Aucune idée. J’ai envie de gras… Un truc bien cliché de l’américain que je suis… J’ai envie d’un bon gros burger et… D’un autre côté… C’est le moment ou jamais de se laisser séduire par la nourriture locale… Et vous ? » Je pose les yeux sur la carte des plats, indécis. La surprise me gagne quand le leader des vipères reprend la parole, je ne m’attendais pas à cela mais je souris, heureux, et trouve le chemin de sa main sur la table. Notre famille, réunie jusque dans l’après-jeu, c’est tout ce dont je rêve présentement.