@elvis

Sasha, allongée sur le dos, les jambes en l'air et déposées contre le mur, dessine dans le vide de son index levé au-dessus de sa tête, sans réellement réfléchir, paumée dans ses pensées. Elle a aléatoirement un sourire aux lèvres, puis l'air étonné, avant de se perdre dans des pourtours contemplatifs rythmant sa petite vie intérieure du jour. Calquant son mode de vie réel, ses fantaisies prenaient de plus en plus la forme d'aventures singulières, brutalement différentes, tenant de la nouvelle plus que du roman, ponctuelles et intenses. Elle a toujours ses safe spaces qu'elle alimente depuis qu'elle est enfant, ces elles d'ailleurs, de plus loin, qui la suivent comme des amies et qu'elle retrouve toujours avec l'envie de chialer de bonheur, quand enfin elle se laisse aller sans retenue, sans culpabilité. Dans sa vie de tous les jours, son seul repère fixe, à Sash, ce sont les heures qu'elle s'accorde, au réveil, pour lâcher prise. Pour être elle et elles. Et depuis que son secret a été révélé, elle retrouve douloureusement sa zone de paix, de protection, le confort de sa propre tête, et le plaisir de son imagination sans limite, après des semaines à avoir tenté de maitriser à l'extrême chaque trigger, chaque moment de flottement, chaque latence qui pouvait la faire vriller. Elle a pas toujours réussi et beaucoup l'ont interceptée sans le savoir à des moments où elle était pas vraiment là. Aujourd'hui, elle se cache plus, et c'est d'autant plus vrai avec Elvis, qui s'amuse parfois à raconter tout haut, pour lui-même, ce qu'il imagine se dérouler sous le crâne de Sasha, se fiant à ses expressions et aux mots qu'elle échappe parfois. Lorsqu'il bosse, comme il en reprend doucement l'habitude, elle avait pris le pli de dessiner aussi ou de rêvasser. Jusqu'à ce qu'il la ramène à leur réalité, d'une façon ou d'une autre et elle l'observait alors d'un air absent, puis son visage, son regard, son sourire, sa voix se frayaient un chemin dans sa tête et elle finissait par sourire à son tour, à nouveau là. D'autres fois, elle revenait à elle toute seule. Rassasiée, rassurée, heureuse. Dans un soupir, elle rattrape la vie et tourne vers lui un regard intrigué de tout ce qu'elle a raté. Rien. Il est toujours là, à bosser. Toujours là, au milieu de ses caméras. Son bras retombe doucement sur son ventre et sans bruit, comme un chat, elle se redresse, s'impose dans sa bulle, défait ses doigts de l'objectif qu'il tient et se glisse sur ses jambes pour s'installer sur lui sans vergogne. Fini le travail. C'est son tour à elle, maintenant. « Tu fais quoi ? » elle roucoule en entourant ses épaules de ses bras et enfouir ses lèvres contre son cou, décidée à ce qu'il ne fasse plus rien du tout pour un moment. Elle a une drôle de sensation d'urgence qui affronte l'apaisement étrange qu'elle ressent depuis la fin du prime. L'opposition perpétuelle entre les choses qui se mettent en place et son esprit qui en veut toujours plus, constamment en quête d'une merde à utiliser pour se stimuler. « A combien de pourcents tu penses que Vel va m'aimer ? » elle demande en accompagnant cette pensée d'une moue, parce que c'était ça, sa vraie question. « C'est important, sois précis » elle anticipe direct en lui balançant de gros yeux avant d'ourler un sourire espiègle, ses lèvres contre les siennes. Oui, Vel c'est important, très très important. Parce que c'est sa soeur jumelle, probablement la personne la plus importante dans sa vie, et aussi parce qu'elle s'est quelques fois tapé des paranos aiguës, Sasha, à se demander si Vel allait la considérer comme un problème en plus, comme une frasque du cerveau instable de son frère, comme quelqu'un de pas bon pour Elvis. « Et à combien de pourcents elle m'aimera après que je vous ai fait monter sur la tour Eiffel ? » elle ajoute avec malice, en roue libre totale, déjà prête à élaborer mille plans diaboliques de conquête.

Il est censé taffer. Il lui reste quelques jours pour se remettre dans le bain, reprendre certaines habitudes de travail, se faire à une routine plus régulière. Censer, oui, censer. Au lieu de ça, il gamberge sur sa chaise, tâtonne, procrastine, son esprit voguant d'une contradiction à une autre. Pour canaliser ses pensées parasites, il laisse ses mains attraper le Leica version numérique posé sur la table, testant des trucs avec. Il braque son objectif sur un sujet plus susceptible de capter son attention. Son regard se porte sur @Sasha en phase de pleine rêverie, un phénomène captivant qui nécessite d'être saisi dans l'instant. Cliché après cliché, il imprime durablement dans sa pellicule la silhouette fuselée de Sasha, les ombres sur le mur qu'elle dessine en se contorsionnant, la manière dont son regard s'anime, dont ses lèvres s'entrouvrent. Cette vision d'une Sasha éthérée, vaporeuse flatte sa rétine, lui inspire une composition, une mise en scène, tout en restant à distance, spectateur d'un moment singulier et intime à la fois. Arrivé aux quotas escomptés, il ne tarde pas à transférer toutes les photos sur son ordinateur pour les retoucher un peu, notamment la luminosité et les contrastes. Pleinement investi dans l'étape de correction, les yeux rivés à l'écran, il ne capte pas tout de suite la percée dans sa bulle. Celle d'une Sasha éveillée, espiègle, lui subtilisant sa caméra, recapturant son attention lorsqu'elle se positionne sur lui. Lorsque ses bras viennent l'envelopper, sa bouche contre sa peau, il en frémit de plaisir avant de glisser ses mains sur ses hanches pour la ramener contre lui. Il obtempère, n'opérant aucune résistance, cédant volontiers à ses minauderies. La française l'interroge alors sur quoi il travaille. — Pas grand-chose, à vrai dire. J’ai pas avancé des masses depuis t'à l'heure. Mensonge. Il se contente tout de même d'hausser des épaules puis d'en rire tout en fermant discrètement son ordinateur derrière Sasha. — J’arrive pas à me concentrer quand t’es dans les parages, tu le sais bien., qu'il confesse en arborant un sourire enjôleur. Il ne lui montrera pas tout de suite, ça attendra un peu. Il compte bien profiter de chaque instant avec elle avant leur séparation temporaire. Elle mentionne Vel, ce qui sur le coup le surprend un peu mais il accueille ses questionnements avec le sourire. Il fait mine de réfléchir, histoire de la faire mariner un peu. — On va tabler sur du 98%, à mon avis. Il est optimiste, le Elvis, il sait profondément que Vel est bien le genre de fille à mettre les gens à l'aise en toute circonstance en s'intéressant à eux. Elle a cette capacité prodigieuse d'aller vers les autres, le sens de l'hospitalité en toute circonstance, prompte à aller à la découverte des autres. En revanche, quand elle se sent trahie ou quand on s'en prend aux siens, elle sort toute de suite les griffes. Pour être plus précis ... — 98,8% ? A une virgule près hein. Il y a tout de même 2% qui restent, lui indiquant qu'une marge de progression subsiste mais sa jumelle les a vu évolués à l'écran. Il part du principe qu'elle sait qu'il doit son bonheur retrouvé à Sasha, qu'il ne souffre plus grâce à elle. Ce qui participerait beaucoup dans son appréciation de la personne. Si son frère est heureux, elle le sera aussi par mimétisme. — Ça sera toujours mieux que celui de mon ex, en tout cas., se marre-t-il. Le sien doit frôler le moins un voire pire, ça indique bien le niveau de détestation que Vel porte pour Keilani. Sasha s'embarque alors dans une opération séduction pour conquérir le coeur de Velma. Elle voit les choses en grand. Et à cet instant, il la trouve tellement adorable qu'il s'en veut presque de se jouer d'elle de cette manière. — Ça ne suffira pas, je pense. Vel, tu vois, a des goûts de luxe depuis qu’elle est CEO de notre label. Elle a un certain standing à maintenir donc faudra élever ton game un chouïa. Le tableau de sa sœur qu'il est en train de dépeindre est loin de la réalité. Elle est la cool girl, par excellence, ne faisant pas de chichis, à l'aise dans ses pompes. La moins prétentieuse qui soit. Bon, Sasha a l'air de prendre ça vraiment à cœur donc il redevient sérieux. — Pourquoi tu veux tant l'impressionner ? Elle n'aura pas besoin de le faire, elle n'aura juste qu'à se montrer à elle puis le charme finira par opérer. Il l'espère, en tout cas, ne voyant pas Vel s'en prendre à elle dès leur première rencontre. — T'es bien le genre de nana avec qui elle s'entendrait, en plus. Il enfouit sa main dans ses cheveux de blés puis dépose ses lèvres sur le bout de son joli nez, puis elles viennent frôler les siennes. — T’as pas de soucis à te faire, sois toi-même et tout ira bien., qu'il lui souffle avec tendresse.