Je ne m’attendais pas à échanger avec un tel entrain sur les films d’épouvante aux côtés de Kendall. La rouquine est décidément pleine de surprises et j’adore être au rendez-vous pour les découvrir les unes après les autres. Ce sont trois productions plus ou moins récentes qui me viennent immédiatement à l’esprit lorsque ses pulpeuses s’attèlent à dessiner les contours de ce qu’elle préfère dans le genre. L’incertitude constante, le doute qui s’installe et qui ne parvient pas à s’effacer jusqu’à l’élément de résolution, jusqu’à cet énième twist qui vient démêler complètement ou partiellement une intrigue digne de ce nom. La frontière on ne peut plus mince entre surnaturel et réalité. Elle est plus vive, ma partenaire, lorsqu’elle me conforte sur mes choix et emprunte un chemin similaire. Je l’observe attentivement, les yeux rivés sur ses traits magnifiquement sublimés par la passion qui l’anime lorsqu’elle aborde une telle thématique. Elle s’y connait, il n’y a pas à dire, et j’ai plaisir à la sentir habitée, emballée, loin du personnage qu’elle adore articuler pour nous faire croire à une froideur plus ou moins factice. Je me surprends à sourire bêtement, à acquiescer, m'abreuver de ses paroles sans jamais me détourner ou m’ennuyer. Le temps file à une allure folle lorsque je suis à ses côtés. « Je n’ai pas eu l’occasion d’aller voir sa suite au cinéma, j’ai longuement hésité puis j’ai opté pour d’autres films. Tu as pu lui donner une chance ? Les critiques étaient désastreuses et je comprends totalement pourquoi. The Boy n’a pas ce qu’il faut pour créer une franchise. C’est un scénario qui fonctionne bien parce qu’articulé de sorte à être unique. L’effet de surprise du premier ne peut pas être recréé dans le second, les gens savent exactement à quoi s’attendre cette fois. » Ce doit être la raison pour laquelle j’ai préféré me tourner sur d’autres projections plutôt que de dépenser une dizaine de dollars pour ressortir de la séance déçu et énervé après les producteurs du film. Get Out, comment pourrais-je oublier une proposition aussi habile et culottée. Je n’attendais pas Jordan Peele dans ce domaine et pourtant, il est parfait dans cet exercice. Ma camarade ne me laisse pas le temps de rassembler mes pensées à ce sujet qu’elle repart déjà de plus belle. « Peele est d’une intelligence rare et rafraichissante dans le milieu. Je ne m’attendais tellement pas à une telle histoire lorsque je l’ai regardé pour la première fois. C’est un coup de Maitre. Je ne serais pas surpris qu’il figure parmi les rares œuvres à obtenir le statut culte en matière d’épouvante sur la décennie qui s’est écoulée. » Je la jauge du regard et, en parlant du réalisateur et scénariste à succès. « J’ai été nettement moins emballé par Us. J’ai pourtant été très porté une bonne partie du film mais le dernier quart m’a laissé perplexe. Je ne peux pas affirmer l’avoir détesté, mais je ne l’ai pas adoré non plus. C’est marrant, d’ailleurs, je me suis promis de le visionner à nouveau mais j’ai un blocage, je trouve toujours autre chose à regarder ! » Mes yeux s’illuminent, je pense à un autre titre qui m’emballe et relance les enchères. « Invisible Man version Elisabeth Moss… Je ne sais pas pourquoi tu n’y as pas pensé plus tôt ! » Je souffle, déçu, pour l’accuser d’une faille impardonnable dans sa culture horrifique. « J’aime qu’on se détourne du surnaturel qui influençait la manière dont était adaptée cette histoire jusqu’à maintenant. La réécriture de l’histoire à une sauce ultra moderne avec les innovations technologiques qui, tôt ou tard, pourront surement permettre de véritablement devenir invisible avec une combinaison est plutôt bien pensée ! » Jason Blum est certes capable du pire, mais il est également à la tête des plus belles surprises en la matière depuis quelques temps. « L’ultime scène est vraiment jouissive ! » Je termine, pour le plaisir d’avoir le dernier mot. D’un extrême à l’autre, comme toujours. Cet éternel grand écart qui nécessite un sens du rebond permanent. Un premier degré qui reprend le dessus et laisse entrevoir une humanité plus complexe, plus grande également. Je suis le premier à faire tomber les masques, fragilisé par une curiosité qu’elle se refuse à abreuver. La frustration est immense, elle me fait baisser la tête pour encaisser l’échec et déglutir au mieux. Passer outre pour retrouver une substance digne de ce nom, de quoi surenchérir sans perdre de temps. La beauté glaciale reprend les devants et me met en difficulté. J’aimerais trouver en moi la capacité à être neutre, à ne pas réagir, à prétendre ne pas me soucier de l’image qu’elle a de moi. C’était pourtant le cas il n’y a pas si longtemps. « La connexion est essentielle. Quel est l’intérêt de tout ça, sinon ? » Suis-je en train de répondre avec humour à sa propre tentative de nous sortir d’un sable mouvant dans lequel nous avons pour habitude de ne perdre qu’une jambe à la fois, par instinct de préservation ou est-ce toujours libre à interprétation ? Je refrène la nervosité d’un mordillement automatique de ma lèvre inférieure et sombre lorsqu’elle disparait sous cet épais voile d’eau. L’incertitude, la plaisanterie que je sens dans l’air, les doutes qui prennent le dessus, la panique qui anime mes prunelles… Cet abandon de tous mes principes, de toutes mes certitudes pour plonger tête la première. Elle se joue de moi et m’offre de quoi me dérober pour lui relancer la balle. Je la taquine et me surprend de la voir me souhaiter une bonne nuit, tout cela pour battre en retraite. Je n’y crois pas une seconde, mais lorsque son dos puis ses courbes se libèrent de cet amas d’eau le doute n’est plus permis. « Non attends… » Je démarre, instantanément tenté de me détester pour cet aveu de faiblesse. Je devrais la laisser partir. Ce serait la chose à faire pour l’emporter, pour ne pas lui laisser la joie d’être celle que l’on rattrape. Je sais très bien qu’il me faudrait reprendre mes brasses pour atteindre la cascade et en profiter dignement… Et puis merde. Je crawl à en perdre le souffle pour me rapprocher et me redresser, le torse dégagé. De l’eau jusqu’aux cuisses. « Reste. » Mes prunelles évitent soigneusement les siennes. Ce serait trop, trop d'un seul coup. Trop pour moi. Trop pour nous deux.  

Elle part la rousse. Elle rebrousse chemin, elle fuirait presque. Elle attend pas qu'il la rattrape et pourtant, c'est bien sa voix et sa nage enflammée dans sa direction qui l'arrête. Reste. Y a toujours ce voile dans ses yeux, ce manque d'expression qui caractérise son visage. Elle fait marche arrière elle aussi, venant retrouver l'eau jusqu'aux cuisses à son tour « C'est toujours si facile avec toi » qu'elle lance, comme une pique, avec ce sourire en coin qui rappelle sa victoire dans cette compétition qui n'a sens que pour eux. C'est ce qu'elle veut qu'elle croit, qu'elle part juste pour gagner une nouvelle fois. Ce qu'il ne sait pas, c'est qu'à chaque fois qu'il met sa fierté de côté, c'est lui qui gagne. A chaque fois qu'il se montre honnête sur ce qu'il ressent, c'est des pas de plus qu'il arrivent à gratter jusqu'à son cœur. Kendall ne ment pas pourtant. Avec lui, c'est toujours facile et elle ne parle pas de gagner. Sa main délicate vient se poser sur sa joue et ses lèvres se déposer au coin des siennes comme un ultime bonne nuit avant de partir pour de bon.