Il existe très peu d’endroits à l’image de celui-ci. Rectification, rares sont les occasions pour quelqu’un avec mes revenus de profiter d’un espace aussi luxueux. Je suis installé sur cette chaise longue depuis plusieurs dizaines de minutes maintenant, à profiter de la fraicheur nocturne en sirotant la dernière moitié d’un limoncello préparé tout à l’heure. Le digestif, il n’y a que cela de vrai après tout. Je pianote sur le téléphone que nous a gracieusement prêté le propriétaire des lieux lorsque nous avons intégré le jeu et hésite pour la énième fois. Je presse le pouce sur une application mais la referme immédiatement. Ce n'est pas moi, pourquoi ferais-je un truc qui ne me correspond pas ? Est-ce le but de ma présence ici, tenter un truc dingue, qui puisse totalement me sortir du quotidien et de ma zone de confort ? Peut-être bien, en effet, mais l’aventure en elle-même semble largement suffisante, justement. À défaut, je tire une cigarette de mon paquet et la porte à mes lèvres, en quête d’un briquet qui semble s’être fait la malle, comme toujours. Je l’ai utilisé avant de diner… Près de la piscine, je crois. « Tu fumes ? » J’interroge le camarade qui passe et qui, par conséquent, est condamné à momentanément s’arrêter près de moi. « J’ai oublié mon briquet. » J’annonce, dépité, tout en désignant mon téléphone du regard en anticipation. « Je suis censé créer mon réseau social, mais ce n’est pas mon truc… Je ne suis pas très connecté ! »

J’ai souvent l’impression de ne pas appartenir à ma génération. Vous ne me verrez jamais abuser des réseaux sociaux, je n’ai même pas de compte Instagram, Facebook, Twitter ou TikTok. Je m’informe principalement en étant abonné à plusieurs sources de presse en ligne, je laisse à mes amis le soin de m’envoyer quelques réels en complément depuis Whatsapp sans avoir à subir les effets secondaires d’une utilisation régulière de ces outils de malheur. Suis-je malheureux ou en décalage avec les autres pour autant ? Je ne crois pas. Je ne souffre d’aucun manque, je n’ai pas l’impression de louper quelque chose et je n’ai aucunement besoin de ces outils pour continuer à rencontrer du monde, bien au contraire. Tinder, Grindr, Snapchat et tout le reste attendront. J’ai souvent la sensation de vivre davantage dans la réalité, les yeux rivés sur le monde qui m’entoure plutôt que sur un écran. Une impression plus qu’une véritable affirmation, le jugement n’étant pas une option, encore moins un souhait. Toujours est-il que je dois créer un compte au block parce qu’il se passe tout un tas de choses en ligne, tout au long de la journée, qui m’aideront à progresser sur mon enquête. La flemme, oui, mais un appel du jeu beaucoup plus fort que tout le reste. Bowie tombe à point nommé, je compte sur lui – et cela sans le connaitre – pour m’aider à créer une page digne de ce nom. Un truc simple, qui ne fasse pas trop noob qui découvre les réseaux et qui ne soit pas too much non plus… Putain ce qu’on se prend la tête, quand on doit se mettre sur la toile ! Pas de briquet, donc, mais une illumination qui s’apprête à bouleverser ma vie… Ma soirée, plutôt, parce qu’il ne faut pas déconner non plus. J’ai les yeux qui s’écarquillent et se mettent surement à pétiller, parce qu’il y a de quoi, franchement. « Il était donc resté là-bas, je l’ai cherché partout, si tu savais ! » J’acquiesce à ses propos, je le remercierais à ma manière plus tard, lorsque j’aurais une brillante idée ou qu’il aura besoin d’un coup de main à son tour. « Sima, c’est ça. Merci beaucoup… Euh… » Ne m’en demandez pas trop, trop de nouveaux prénoms à retenir d’un coup et pas assez de dossiers à consulter en amont, comme je le fais lorsque mon service de nuit démarre à l’hôpital. Briquet ou non, il n’est pas difficile de deviner qu’il revient de la piscine, avec sa serviette autour des hanches, sa peau encore humide. Il me donnerait presque envie de piquer une tête. Je lui lance une perche sur les réseaux et il mord directement à l’hameçon, idéal. J’acquiesce à nouveau vivement, emballé. « Tu ferais ça ? Quelle est la recette magique ? Que suis-je censé faire figurer sur mon compte ? » Je marque une petite pause, conscient que je m’emballe peut-être un peu. « Grand influenceur à l’extérieur ? »