Le réveil est matinal pour les rares habitants qui trainent la patte dès sept heures ce matin. La nuit n’a pas encore commencé pour d’autres, moi, en l’occurrence. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir envie de remédier à ce problème, croyez-moi, mais je n’ai pas encore trouvé comment perdre mon rythme habituel en faveur de celui qui s’impose ici… La banalité, en réalité, celle qui ne correspond pas du tout à mon quotidien. Tu es infirmier de nuit, à cette heure-là, il te reste encore une petite heure, un peu moins, avant de pouvoir songer à démarrer ta propre nuit. Je ne me couche jamais avant onze heures, parfois midi. Mon horloge biologique est encore plus pourrie qu’à l’extérieur ici, la fatigue n’est pas la même, mes occupations non plus. J’arrive parfois à m’endormir le soir, et de temps en temps je dors deux ou trois heures avant d’être réveillé par un petit bruit… Après cela, la nuit est terminée. Plutôt que de tourner en rond, je me suis mis en tête de répondre aux grognements de mon estomac. Le problème ? Dans des moments comme ceux-là, je ne sais jamais si j’ai envie de sucré ou de salé, alors dans le doute… « T’es un lève tôt, toi ? Tu m’as caché des trucs dans notre prison dorée ! » Je l’accueille avec un grand sourire mutin et jette un coup d’œil à mon plan de travail fariné. Le bazar accumulé doit aisément traduire les heures passées dans la cuisine et l’absence de sommeil qui en découle. « Je n’arrivais pas à trancher alors j’ai préparé des brioches qui sont au four et des pains bagels au parmesan… T’as envie de quoi ? » Je me sens d’humeur généreuse. Tu préfères surtout être accompagné, à choisir. Franz aurait-il du souci à se faire ? J’opte pour un trait d’humour, même si je fais très aisément le lien entre la cuisine, sa profession, et ma pratique actuelle. « Pourquoi, parce que je te fais craquer, c’est ça ? » Je le toise du regard, pince sans rire. Mes prunelles sont attirées par son t-shirt échancré, par ses courbes moulées et… Peut-être qu’il a raison, mais la menace ne vient pas de moi dans ce scénario. Pensée qui me fait sourire et me replonger dans ma cuisine. « Je cherche encore à prendre mes marques, et à supporter les gens aussi… Trente bougs, c’est trop, même pour un mec habitué à tolérer du monde dans les pires conditions. » Pourquoi croyez-vous que je suis passé à des services de nuit ? Je vois beaucoup moins de monde, mais j’accompagne la population que je supporte le plus, celle qui me touche profondément… Les enfants. « Et toi, comment tu vis cette intégration ? Pas déçu ? Tu sais que j’suis vraiment content de te retrouver ici ! » C’est vrai, on s’habitue vite à la présence des gens, surtout quand on est enfermés dans une toute petite surface.

Je ne manque pas d’énergie malgré l’absence de sommeil. La malédiction des yeux rouges, gorgés de sang ne passera pas par moi. On dit merci aux années de pratique qui accompagnent le rythme auquel je soumets mon organisme au quotidien. Je sais bien qu’il n’y a rien de très sain là-dedans, bien au contraire, je le paierais un jour, mais il est inconcevable pour moi de sacrifier mes journées en dormant sous prétexte que je passe la nuit debout à veiller sur mes patients. Tu pourrais demander à obtenir les services de jour à nouveau, tu l’as fait pendant un long moment, mais cela ne t’intéresse pas dans l’immédiat. Tu aimes entretenir ce rapport avec tes patients, avec ces gosses qui sont angoissés lorsque vient le moment d’éteindre les lumières et que les parents ne sont plus là pour les accompagner. Le rapport est plus fort, je suis le grand frère qui les accompagne, qui discute avec eux, s’arrête quelques minutes pour s’asseoir à leur chevet le temps d’échanger quelques blagues, quelques mots censés apaiser entre deux prises médicamenteuses, soins annexes et autres prises de constantes. À titre de comparaison, j’ai l’air bien plus en forme qu’@Elias avec qui j’ai eu le privilège de démarrer cette saison. Il reste particulièrement beau malgré tout, cela étant dit. Il a faim et il tombe parfaitement bien puisque j’ai préparé de quoi satisfaire un régiment pendant que je combattais l’ennui. J’acquiesce vivement et désigne du doigt le frigo pour l’inviter à explorer ce dernier en quête d’inspiration. « Tu veux quoi dans ton bagel ? Fromage frais ? Avocat ? Jambon ? Dinde ? Dis-moi tout ! » Dans une autre vie, je suis persuadé que j’étais cuisiner ou pâtissier… Un truc dans le genre. Je ne serais même pas surpris de me réorienter là-dedans un jour, si je venais à ne plus m’épanouir du tout dans la médecine. Je m’amuse de sa réaction, il confirme à toute vitesse sans réaliser l’ampleur du sous-entendu que je lui adresse et je me régale de le voir rétropédaler, se prendre les pieds dans le tapis et essayer de clarifier la situation comme si c’était nécessaire. « Quel râteau tu me mets ! » Je laisse filtrer un soupir qu’un haussement d’épaules résilié accompagne à la perfection. J’ai envie de rire, en réalité, mais j’ai plaisir à me retenir encore un peu, pour l’observer se débattre avec tout cela. Quelque chose de magique s’est créé sur nos débuts. Être à quatre dans un espace restreint, c’est autre chose que d’arriver ici, avec une liberté relative et un accès très appréciable à la ville. Nous avons partagé énormément en très peu de temps, un lien singulier. « Ils ont mis un temps fou à vous intégrer, j’ai vraiment pensé qu’ils avaient décidé de vous éliminer après l’arrivée de Matilda ! » Je partage le point de vue des producteurs de l’émission, il était impossible de se passer d’Ibra et Elias. Un élément retient mon attention, cependant. « N’en profite pas pour esquiver ma question, comment tu le vis, toi ? » Attentif au moindre petit détail, comme toujours. Il m’interroge sur mes coups de cœur et mentionne un garçon qui aurait vraiment accroché avec moi. La description me donne matière à réfléchir un moment. « Il y a une vieille dame réincarnée en garçon dans la compétition ? Je l’ignorais ! » Un candidat avec une ribambelle de chats ça ne me dit rien en tout cas. « @Franz ! » Je note, les yeux rivés sur la fournée que je sors du four en évitant soigneusement de me brûler dans le processus. « Il est charmeur ! »