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trouble alimentaire, boulimie, expulsion. Merci de ne pas lire si ces sujets vous sont sensibles. ____
Le visage rivé vers le bassin. L'eau tranquille se stabilise. Des gouttes de sueur perlent sur son front. Des larmes s'accrochent au coin de ses yeux.
Le prime est-il terminé?
Elle n'en sait rien, Sherrie. Elle est partie, avant la fin. Elle s'est enfuie, plus rapidement que son ombre. Assez rapidement pour que personne ne la suive. Pour aller où?
La réponse est simple. Son refuge. Cet endroit caché où elle disparait, lorsque les choses ne vont plus et qu'elle ne parvient plus à supporter. Le poids de son existence. Celui de ses émotions.
L'avez-vous observée, Sherrie? Réellement? Avez-vous remarqué ces images de nourriture qu'elle colle sur ses réseaux sociaux, cette manie qu'elle a de parler de manger, tout le temps? Avez-vous constaté cet appétit étrange qu'elle détient? Tantôt, l'incapacité d'avaler quoi que ce soit. Tantôt, le besoin de se gaver comme une oie.
La vie est hors de portée. Le contrôle lui échappe. Tout semble planifié, pour elle, depuis des années. Sa mère gère ses ambitions. Son publiciste, son image. Son manager, son temps et ses engagements. Son label, sa voix. Au final, que lui reste-t-il?
Rien.
Elle accumule, en silence. Accepte tout le poids des attentes et des responsabilités placées sur ses épaules. En silence, sans rechigner, sans se plaindre. Parce qu'il le faut bien. Elle accepte qu'on lui impose d'être comme ci ou comme ça. Plus avenante, plus gen-z. Plus démonstrative. Plus sensuelle. Tant de choses, tant de notions qui sont placées sur ses épaules. Elle se perd un peu, dans toutes ces attentes. On attend d'elle qu'elle soit ouverte et avenante. Mais mystérieuse, également. Séduisante. On attend d'elle qu'elle soit belle, jeune, mince, élégante. Mais qu'elle ait une belle poitrine. Et un beau fessier, également. On attend tant de choses d'elle ... Et on la gère, jour et nuit et nuit et jour. Avec ou sans son consentement.
Et Smith, dans tout ça?
Smith ne gère rien. Pas même ses propres émotions. Et Sherrie tente, elle tente tant qu'elle peut de le porter, à sa façon. De porter cette histoire qu'ils vivent, au final, pour le meilleur et pour le pire. Mais personne ne la porte elle, Sherrie.
Elle s'accroche au meuble, le visage toujours meurtri par les larmes et les convulsions. D'un côté, elle ne veut pas. De l'autre ... Elle ne peut pas. Elle ne peut pas s'en empêcher. Elle ne peut pas renoncer au faible contrôle qu'il lui reste, qu'elle détient. Alors elle se force, à nouveau. À évacuer. Tout.
Ses craintes. Ses nerfs. Sa colère. Sa frustration. Sa tristesse, également. Ses repas. Ou ceux qu'elle saute.
Personne ne sait.
Et personne ne peut savoir.
Car Sherrie, c'est le soleil, les étoiles, et les arcs en ciels qui les relient. Sherrie, c'est la meilleure amie de tout le monde, la miss sis fam bestie. Sherrie, c'est la fille qui adore le rose et qui se promène en poney. Sherrie c'est la version 2023 de Miss Univers, comme dirait Hanaé: conçue pour un public moderne, ouvert ... Woke.
Sherrie, ce n'est pas la fille qui ne gère pas son image. Sherrie, ce n'est pas la fille qui est victime de son succès.
Et pourtant...
Elle s'accroche de nouveau au bassin, avant de laisser sa main glisser au fond de sa gorge. Juste un peu. La douleur est terrible. Mais elle lui permet également de se sentir en vie.
Et quand c'est terminé?
Elle respire bruyamment. Elle prend quelques secondes. Elle se relève. Elle inspire profondément. Elle se recoiffe. Elle se prépare, à affronter le monde à nouveau.
Le malêtre est parti. Elle s'en est exorcisé. Et de nouveau, la voilà qui redevient: Sherrie.