J’ignore à quel moment j’ai décidé de proposer à Solal de prendre un verre avec moi, toujours est-il qu’il a accepté mon invitation à ma plus grande surprise et que je l’attends dorénavant sur le balcon. Il a quelques minutes de retard mais rien de catastrophique, pas de quoi m’inquiéter à l’idée qu’il puisse me poser un lapin. Pourquoi voudrait-il agir ainsi quand on sait la vitesse à laquelle je pourrais le retrouver en parcourant le block ? Il est bien trop intelligent pour cela, le Solal. Je me souviens des propos de @Goliath qui a reçu un coup de main de la part du français pour choisir une bouteille la semaine dernière. Basé sur cette simple remarque, je me suis longuement attardé à la cave pour sélectionner une bouteille de blanc et de rouge, parce que les français adorent ce dernier contrairement à moi. Je me suis amusé à préparer un cake parmesan / chorizo pour nous permettre de grignoter avant le diner du soir. Je me laisse choir contre un des fauteuils et échappe un soupir de contentement. J’ai longtemps pensé à cette scène près de la boite aux lettres. Je n’aurais jamais pensé qu’il soit possible de se rapprocher du garçon après autant de semaines passées à se détester plus ou moins cordialement et pourtant… Rien n’est impossible ici et mon cœur est suffisamment grand pour empêcher la rancune de me ronger jusqu’à l’os. C’est un nouveau départ définitif que j’espère aujourd’hui. Est-ce naïf de ma part ? On ne pourra pas me reprocher de ne pas avoir essayé. Mon camarade ne tarde plus à arriver et je l’accueille avec un très large sourire aux lèvres. « Salut ! » Je l’invite à venir s’asseoir en face de moi, sur le fauteuil que j’ai déplacé pour qu’on puisse se faire face. « Tu sais que j’ai passé une année en France lorsque j’étais au lycée ? J’ai participé à un programme d’échange dans un bahut lyonnais. Une école privée qui a accepté d’accueillir gratuitement deux élèves en échange de la même prestation du côté de mon établissement d’origine ! » Il ne doit pas en avoir grand-chose à faire mais c’est dit malgré tout. « La baguette, ça change la vie. J’ai du mal à m’en passer depuis que j’ai pris l’habitude de petit-déjeuner avec en France… Je ne comprends pas ce que vous trouvez aux escargots en revanche. » Je grimace rien que de repenser à la fois où j’en ai goûté pour les fêtes de fin d’année. Mâcher n’était clairement pas une bonne idée.

« Tu crois que je suis paré pour Top Chef ? Je ne suis pas persuadé que Philippe Etchebest adhère à ma recette du cake chorizo et parmesan mais j’ai peut-être mes chances avec Michel Sarran ou Hélène Darroze. » Je réponds en un fin sourire à mon camarade qui s’installe face à moi non sans mettre en exergue mon goût soudain pour la petite cuisine. Il n’y a rien de bien compliqué là-dedans. Un assemblage plus ou moins maitrisé d’ingrédients compilés pour obtenir une pâte suffisamment épaisse pour gonfler et former un cake digne de ce nom après cuisson quelques dizaines de minutes. J’espère qu’il est assez relevé avec cette petite touche de curry et quelques morceaux de poivrons pour apporter du peps. Je déteste les recettes qui aboutissent sur un produit fade. Avec moi, ce sont toutes tes papilles qui sont en éveil. Puisqu’il est hors de question que je laisse un silence gênant s’installer entre nous, j’opte pour une transition plus ou moins bien amenée à base d’expériences françaises, lyonnaises plus précisément. Les traditions aussi, celles qui entourent les clichés que nourrissent les étrangers à l’égard des français. « Me voilà rassuré. Je n’ai pas eu le loisir de goûter aux cuisses de grenouille mais ça a l’air très spécial aussi ! » À chacun ses coutumes. « Le bœuf bourguignon en revanche ! » Je me laisse basculer en arrière pour me frotter l’estomac avec appétit. @Gemma en sait quelque chose, puisque c’est pour elle que j’en ai cuisiné un il y a quinze jours. D’autres mets parviennent à emporter mon adhésion, notamment en pâtisserie. « Les macarons aussi… J’adore cela ! La France me manque parfois. On mange vraiment très bien chez vous. » Mieux qu’aux États-Unis où la junk food règne en maitre incontesté. Il partage mon avis sur la question. « Le McDonalds… Rien de pire. Quitte à se taper un bon burger bourré de saloperies, autant éviter les grosses franchises ! » Je grimace rien que de penser au dernier burger sans goût et bourré d’additifs que j’ai avalé là-bas par nécessité plus qu’autre chose. Le français, j’acquiesce timidement, me racle la gorge et tente, dans un français approximatif. « Je parle un petit peu le français. Mais je ne utilise pas assez le langue pour bien maitriser tout ! » Mon français doit clairement être rouillé. « Tu cuisines, quelle est ta spécialité ? Ton recette signature ? »

« Je ne sais pas si elle est originale, mais j’aurais l’air ridicule sans un sens de la présentation hyper gastronomique ! » Incorporer des ingrédients les uns aux autres pour aboutir sur un cake comme celui-ci c’est plutôt simple. La seule problématique qui peut se présenter c’est qu’il soit complètement loupé si l’association s’avère merdique à souhait mais ce scénario peut très facilement être évité quand on sait ce qui fonctionne le reste du temps dans les recettes de cuisine. J’ai pris soin de contrebalancer l’arôme piquant du chorizo avec du parmesan. Ne reste plus qu’à voir si le résultat est à la hauteur de mes espérances, de celles du cuisiner qui m’accompagne le temps d’une soirée à la surprise générale. Ce doit être la première fois qu’on démarre une conversation sans aucune forme d’antagonisme exprimée. Il n’y a rien d’autre qu’une légèreté appréciable qui promet une soirée potentiellement très agréable et révélatrice de notre capacité à nous supporter plus de cinq minutes. La semaine passée nous en a déjà donné un aperçu même si les conditions étaient plus extrêmes. Je découpe plusieurs parts de mon cake salé, prêt pour une dégustation. Je porte le morceau à mes lèvres et prends le temps d’en apprécier les différentes notes. Des améliorations, j’en ai déjà quelques-unes qui me viennent à l’esprit. Le parmesan n’est pas suffisamment dosé pour ressortir comme il le devrait. Mes pistes d’amélioration sont sèchement balayées par un Solal qui tranche dans le vif et exprime son avis sur mon effort. « Les choses ont le mérite d’être clair ! Je vais aller nous chercher un paquet de chips ! » Je ne vais pas l’obliger à savourer un produit qu’il n’aime pas, après tout. Je m’éloigne quelques minutes le temps de rejoindre la cuisine et ses nombreux placards pour revenir équipé d’un paquet qui devrait mettre tout le monde d’accord. « C’est comme le poulet ? D’accord. Je saurais quoi manger la prochaine fois que je viens en France ! En revanche, ça consiste en quoi la blanquette de veau ? » J’ai connaissance de la viande utilisée pour le plat, d’accord, mais quelle est la spécificité derrière une telle appellation ? La junk food présente en masse dans de nombreux restaurants – encore faut-il pouvoir les désigner ainsi – plutôt qualifiés de fastfood. J’acquiesce vivement à ses propos. « Je les évite comme la peste. Ce doit être le seul avantage à s’imposer une hygiène de vie très sélective pour rester en forme sportivement… Ça ne me fait même pas envie. » Vous imaginez le torrent d’efforts qui seraient réduits à néant si je sombrais bêtement pour un burger à McDo ? Quitte à faire, autant en savourer un qui sait allier qualité gustative et gourmandise. Je babille du mieux que je peux en français et sens mes lèvres s’étirer en un large sourire ravi lorsqu’il me complimente sur mon accent. « Merci beaucoup. Des années de pratique en écoutant des chansons françaises… Vos comédies ne m’amusent pas trop et la France varie parfois trop peu les plaisirs en la matière. C’est plus difficile que pour les français qui ont des tonnes de séries à regarder en anglais ! » J’ai néanmoins découvert quelques pépites, tout n’est pas à jeter en la matière. « Je sais dire… Putain… Merde… Ta gueule… Connard… » Je formule, amusé. Les gros mots c’est ce que tout le monde adore t’apprendre en dehors des salles de classe. « Quel est la meilleure injure, à tes yeux ? » Un truc qu’il pourrait m’apprendre pour le plaisir de la ressortir à @Dylan la prochaine fois qu’il l’ouvre pour rien. « Avec plaisir. Tu m’as mis l’eau à la bouche tout à l’heure ! » Je marque une courte pause et reprend, en anglais pour gagner en fluidité. « Comment est ton quotidien, en France ? »