@daisy

Sasha, elle a repéré Daisy au loin et ça l'a directement fait converger dans sa direction. L'atmosphère des lieux bouleversait déjà son humeur et elle marchait à pas prudent, les bras tendus sur les côtés comme une funambule, happée par la mélancolie douce presque incrustée dans chaque parcelle de décors. Elle n'arrivait pas à savoir si tout existait déjà bien avant qu'ils soient tous nés ou s'ils avaient tout recréé avec une minutie assez phénoménale. Peut-être l'ont-ils dit, peut-être ne l'a-t-elle pas entendu parce que la réponse n'était pas celle qu'elle espérait et qu'elle avait fermé son esprit à toute possibilité autre. Peu importe, au fond, le résultat était le même : Sasha, c'est une émotive, une sentimentale, qui vit pour les lieux hors du temps comme celui-ci, où les histoires passées s'entremêlent avec celles à venir, dans un éternel inexorable. « Hey » elle roucoule en se posant à côté de Daisy. « Tu crois qu'on a le droit de se parler en français ? » Elle se voit déjà ne dire des choses qu'à Daisy, sous le couvert de l'impossibilité qu'auront les autres à les comprendre. Elle aime ce sentiment d'inviolabilité de leurs confidences, comme si elles étaient déjà meilleures amies. Elle oublie que le monde ne suit pas forcément son rythme à elle, ni dans ses avancées trop rapides, ni dans ses rétropédalages inconsistants. « Tu viens d'où ? » Pas de Paris, sinon elle l'aurait retenu directement. « J'aime bien que tu sois là, c'est moins brutal comme dépaysement » elle confesse simplement, le regard posé sur la ville environ et son improbable allure américaine, si différente de l'Europe et de la France qu'elle connait par coeur.

Entendre du français, ça a quelque chose de réconfortant, alors que ça fait à peine quelques jours que le jeu a commencé. Jusque-là, elle se contentait des accents très distinctifs qu'elle décelait dans l'anglais de rigueur, ça la berçait, mais l'entendre rouler les mots dans leur français natal, c'était un autre level. « On est quelques uns, c'est presque comme si on n'avait jamais quitté la maison » elle confirme de son sourire de môme surexcitée. Depuis samedi, elle en a repéré au moins trois en plus d'elle. Sasha, elle se la joue collectionneuse de care Yu-Gi-Oh. Si elle découvre un cinquième planqué derrière un anglais impeccable, ils pourront tous ensemble invoquer Exodia le maudit et tout niquer. « Enfin, Mathis et Eloïm, c'est pas pareil » elle bougonne quand même dans sa barbe. Chacun pour des raisons différentes, mais la réalité, elle est là. Daisy, instantanément, dans sa tête, elle devient sa copine. Le simple fait qu'elle soit une femme, ça change tout pour elle. Elle en a des amis hommes, évidemment, mais depuis qu'elle est gosse, Sasha elle fantasme un peu ce truc du girl crew qu'elle n'a jamais eu. « Paris. » Elle note Montpellier dans son esprit. Sa coloc vient de par là. Instinctivement, elle colle son épaule contre celle de Daisy, quand elle livre qu'elle a du mal à se faire à la situation, pour l'instant. Sasha, elle est un peu pareille et pas trop en même temps : elle était stressée en arrivant, et maintenant, elle ressent la pression de la course à l'amitié. Ou peut-être que c'est juste son démon à elle, les gens, alors elle se focalise là-dessus. « On vient d'arriver, c'est normal, je crois qu'on est tous un peu paumés, certains le cachent juste mieux que d'autres. » elle veut la réconforter. C'est impossible d'être complètement à l'aise avec toute cette situation, peu importe ta personnalité. Sasha, elle a beau être une infatigable extravertie, c'est aussi la base de la meuf awkward quand elle s'y met et dans ces moments-là, elle se sent vite extrêmement conne et larguée. « Qu'est-ce qui te perturbe ? Le jeu, les gens, l'enfermement, les décors ? » Tout à la fois ? « Moi c'est les gens. »