@rachel

Elles ont un peu bu, Sasha et Rachel, sous les étoiles, et c'est avec une bouteille de rouge dans la main qu'elles passent la porte du studio, comme deux fausses délinquantes qui pénètrent dans le lycée après les cours. C'est une idée à la con qu'elles ont eue en se montant un peu la tête toutes les deux, à faire des schémas de candidats : les riders, les artistes, les musiciens, les écrivains/bouquineurs, les sportifs, les intellos et malins qui n'en ont pas l'air, les rebelles cyniques. ça les avait fait marrer de tout classer façon réfectoire de lycée américain, de voir qui serait avec qui à quelle table et quelles tables seraient les plus proches de celle des plastiques. Puis c'était parti sur un délire d'éclatement des classes, de reprendre possession du lycée et de leurs libertés individuelles et droits fondamentaux, de casser les stéréotypes et les images préconçues et elles se retrouvaient là, face aux instruments, décidées à tout envoyer bouler en commençant par brouiller les frontières en devenant elles aussi des musiciennes. « Je te juuuure que ça va marcher » elle insiste, Sash, persuadée qu'elles vont percer et devenir les prochaines Runaways. Elle accepte que Rach soit Joan Jett même si techniquement, Sasha est la brune. Elle a beaucoup plus de stage presence et totalement l'allure d'une rockstar rebelle. Sasha, elle, c'est la petite go pas complètement punk dont tu sais pas trop ce qu'elle fout là, si elle a suivi ses copines sans trop savoir dans quoi elle s'embarquait. « Toi à la guitare et moi à la batterie. » Elle a toujours aimé cet instrument, Sash, et c'est toujours sur le batteur qu'elle crush dans les groupes. Les chanteurs se la pètent, la guitare c'est surfait, la basse c'est sympa mais souvent c'est des weirdos. Les batteurs c'est toujours les sous-estimés, lowkey ultra stylés, avec une énergie un peu animale et magnétique. Ceux qui, littéralement, carry tous les autres sans jamais rien demander en échange. Dans son petit monde cliché, c'est le mec un peu sombre et méga stylé qui te fait vriller d'un seul regard. « Faut qu'on trouve notre style » elle est partie dans son délire, en s'asseyant sur le tabouret du piano. Première étape quand même. Leur signature musicale. Peut-être qu'il faudra envisager de trouver une chanteuse aussi, à un moment donné. Sasha, elle pense direct à Evey. Elle est certaine qu'il y a un truc à creuser là. « Quel message t'as envie de délivrer à notre public Rach, c'est ça la question » elle pose le regard sur elle, l'index en l'air, en mode grosse pro de la question.

« Chuuut » elle presse son doigt contre les lèvres de Sasha dans une tentative de discrétion complètement inutile, mais dont elle ne se rend compte que maintenant qu’elles ont franchi la porte du studio « Pourquoi on chuchote en fait? » elle ajoute, pensive, le vin rouge la faisant rigoler doucement. Elles s’étaient emportées, toutes les deux. Rachel ne sait pas si c’est l’alcool ou simplement les scénarios qu’elles s’étaient montés, mais elle se sentait interpellée par la trame narrative de leur soirée. Après, c’était facile, avec Sasha, de se laisser emporter. À flirter avec l’imaginaire tout en tentant de garder les deux pieds sur terre. Et cette lubie d’être musiciennes d’un soir, comme si tout s’alignait et faisait du sens. « Mais c’est sûr que ça va être nuuuuulle » elle boude presque, un peu perdue devant tous les instruments. Elle est loin d’être pessimiste dans la vie, mais elle l’a déjà dit à Sasha, elle n’a absolument aucun talent musical qui coule en elle. Rach elle adore la musique, mais ça s’arrête à l’écoute de celle-ci. L’enthousiasme de la française lui redonne automatiquement le sourire. Cette sensation de ne pas avoir envie de la décevoir et de finalement jouer le jeu jusqu’au bout. Because who cares qu’elles soient complètement à chier? Si elles, elles y croient, c’était ça le plus important, non? « Badass la batterie » elle lui jette un regard par-dessus l’épaule, entre le flirt et l’admiration avant de se reconcentre sur son choix de guitare électrique. « Elle est où Kairi quand on a besoin d’elle? » c’était le moment de se manifester, oui. Elle délaisse finalement sa contemplation des instruments avant de venir rejoindre Sash sur le banc du piano, la poussant gentiment pour qu’elle lui laisse de la place, cuisse contre cuisse. « Pop punk ou hard rock? » elle questionne d’abord, ayant l’impression qu’elles doivent prendre une direction claire pour identifier le style qui leur collerait à la peau. Sasha, elle ne lui inspire pas du hard rock. Il doit y avoir un côté plus soft, mais tout de même affirmé. « Janis Joplin ou Joan Jett? » elle posait les vraies questions là, Sasha devait se montrer attentive. Janis ou Joan, ça allait dans toutes les directions. « T’es plus Dreams de Fleetwood Mac ou Call Me de Blondie? » elle finit par pianoter quelques notes comme si une réelle mélodie allait en ressortir alors que ça ne ressemble à rien. « Girl power, peut-être? » le message, il devait parler de girl power. Le vrai, pas le truc préfabriqué de phrase cliché de marketing douteux du genre Girlboss, ou boss babes. Elle jette un coup d’œil vers elle pour voir si ça lui convient. En fait, les possibilités sont infinies. « Pour qu’un message percute réellement les esprits, il doit inspirer et s'inspirer de celui qui le livre. L’authenticité, c’est la clé. Si tu ne crois pas ce pour quoi tu avances, ce que tu clames haut et fort, personne n’y portera réellement attention. » elle souffle, en puisant personnellement dans ce qui l’inspire, dans ses propres convictions. « Qu’est-ce qui t’anime le plus, Sash? Te donne envie de crier? De te révolter? De rire? De vivre? » il commence là, leur message.