Je l’aime bien, cet endroit. Cette vieille école qui regorgeait autrefois de vie. L’ambiance est étrange, bien-sûr, parce qu’il y a cette impression d’être observé au-delà des caméras, une présence qu’il est difficile de s’expliquer et qui fait toujours s’emballer mon cœur et infuser l’adrénaline à toute vitesse dans mon corps tout entier mais la fascination m’empêche de faire demi-tour pour rejoindre la caserne où la plupart de mes camarades se trouvent en permanence. J’ai l’amour du risque, le goût de la découverte alors je continue. Je m’enfonce un peu plus loin ici, en quête d’une activité, d’une conversation, d’une intrigue à développer dans mon esprit en partant d’un tout petit rien et j’atterris sans trop savoir pourquoi ni comment près de l’aire de jeux. Au loin, je reconnais sans la moindre difficulté la silhouette appréciable de Salem, mon partenaire de chambre, de lit, de caresses innocentes sous couvert de sommeil. Je me sens d’ores et déjà plus léger, d’excellente humeur, disposé à un échange qui m’en donnera pour mon argent alors je presse le pas, encore et encore, jusqu’à enfin lui faire face. Son regard, celui qu’il porte sur moi, il fait immédiatement s’envoler mon sourire. Je fronce les sourcils, reçois ses mots sans broncher, désarçonné par son agressivité. Il a l’habitude d’être piquant, sassy comme dirait l’autre mais… Pas comme ça. On ne m’effraie pas facilement, ne parlons même pas d’être vexé, ce mot semble ricocher sur moi sans jamais m’atteindre. « Si je ne t’avais pas entrevu plusieurs fois au réveil avec beaucoup… D’intérêt… Je te demanderais surement si t’es menstrué mais on sait tous les deux que non… Pas biologiquement en tout cas ! » Je croise les bras autour de ma poitrine et le jauge du regard, presque inquiet de le voir s’appuyer contre ses mains, un signe de faiblesse vraiment inhabituel venant de lui. C’est un mec qui garde la tête haute en permanence, supérieur, fier, solide… « Vas-y, décharge ! » Je lève les deux mains pour l’inviter visuellement à se déverser, plutôt que de poser cette question idiote qui consisterait à retourner le couteau dans la plaie d’une exaspération que je sens déjà vive en lui demandant s’il va bien.

J’use et abuse de certaines expressions, de certains sujets en toute connaissance de cause, conscient que mes mots feront forcément réagir vivement mes interlocuteurs. N’est-ce pas justement pour cette raison qu’une partie de mes camarades me vouent un antagonisme hallucinant ? Les mots, certes, mais surtout les photos, dans ce cas-là. Un rebondissement que je n’attendais pas mais qui aura eu le mérite de me mettre en appétit tout de suite. Dédier mon quotidien à les insupporter, c’est ce qui me maintiendra en haleine et en forme, ici. Je me demande même si les téléspectateurs se mobiliseront pour me sauver les miches dès que mon séant bombé juste ce qu’il faut se retrouvera sur le banc des nominés… C’est-à-dire, dès que notre équipe sera ciblée par davantage qu’une équipe, en gros. Je suis prêt, pas spécialement embarqué pour l’aventure d’une vie. Mieux vaut être là sur une période courte, mais intense, plutôt que de faire figuration jusqu’au bout et être oublié par la grande majorité. Je lui propose de se défouler sur moi, prêt à encaisser les coups, qu’ils soient verbaux ou physiques mais non, rien ne se passe, puis il sombre tout à coup contre l’herbe, sous la balançoire sur laquelle je bondis d’un geste qui me surprend moi-même pour sa rapidité et son efficacité puisque je parviens à l’intercepter avant qu’elle lui revienne en pleine tronche. « Attention ! » Il respire, fort, vraiment très fort et je reste là, une seconde, peut-être même plus, à le regarder et à sentir cette angoisse se diffuser en moi en réaction à sa propre vulnérabilité. Je n’ai jamais été bon avec tout ça, moi… J’suis le mec qui sèche les larmes des autres en balançant des blagues horriblement grasses, qui dit des trucs dégueulasse et fait du rentre-dedans pour distraire. Je ne suis pas doué, tout simplement, alors j’écoute cette chose que j’imagine être un cœur et me laisse fondre sur les genoux à mon tour pour pouvoir glisser mes deux mains le long de ses genoux, en une tentative hésitante de… De faire quelque chose ? « Lève les yeux Salem. Regarde-moi ! » C’est un ordre, je crois. Une intuition maladroite et incertaine. S’il se concentre sur autre chose, peut-être qu’il reprendra le dessus sur… Sur ce truc qui lui arrive. « Regarde-moi Salem ! »

J’anticipe sur une catastrophe éventuelle, parce qu’imaginer Salem amoché, que ce soit salement ou superficiellement, par une balançoire, c’est tout ce qui se rapproche d’un cataclysme à mes yeux. J’en ai pris plein la tronche, parfois à raison, d’autres fois à tort, et cela toute ma vie, pas uniquement dans cette émission, mais j’ai un cœur, surement trop gros pour la personnalité qui l’accompagne au quotidien. Je me referme souvent sur moi-même, une réaction incompréhensible après l’autre pour le mec lambda qui débarque sans me connaitre. Je ne suis pas facile, pas aussi simple à comprendre et à anticiper que j’aime le faire paraitre pour ne pas attirer les regards sur certaines problématiques plus désagréables. Je suis sensible à Salem et le retrouver dans un tel état, ça me met un coup, forcément. À genoux, face à lui, ce sont mes mains qui expriment le mieux ce que ma maladresse ne parvient pas à faire vocalement. Il relève la tête, me regarde, acide, mais je n’y prête pas attention. Je ne tente même pas une réponse, nettement plus satisfait par les progrès qu’il fait, par sa respiration que je sens un tout petit peu moins chaotique. « Dire quoi ? Tu vois quelque chose à dire, toi ? Pas moi ! » S’il n’y avait pas les caméras pour foutre la merde, j’affirmerais même qu’il ne s’est rien passé, que ce moment ne s’est jamais produit mais je sais à quel point la Production se fera un malin plaisir pour utiliser ces images à bon escient. « Et puis… Ne parle pas de me faire du mal, tu m’exciterais presque ! » De l’humour pour masquer le silence, une mauvaise idée, ou pas… Je ne sais pas. Il a la tête pressée contre ses cuisses et le front appuyé contre mes mains. J’ai le cœur qui bat tellement fort que j’ai du mal à me concentrer sur les bruits alentours. Ma seule certitude, c’est qu’à cet instant, je décide de m’asseoir, de glisser mes cuisses de part et d’autre de sa silhouette en une tentative de rapprochement qui me permet d’appuyer ma tête contre la sienne et d’opter pour des gestes plutôt que des mots que je ne sais jamais utiliser comme il faut. Je renonce à ses cuisses pour pouvoir porter mes mains contre son crâne et ses cheveux courts que je caresse tranquillement… Tendrement.

Je l’observe, si proche de lui et pourtant aux aguets, sur le qui-vive, comme s’il pouvait soudainement se produire quelque chose et qu’il me fallait à tout prix anticiper pour pouvoir le protéger. Salem, je sais qu’il est en colère contre moi depuis le début de la semaine. Je sais qu’il me tient rigueur d’un certain nombre de choses et je l’ai entendu, surement même un peu trop. Ses mots, ils réapparaissent dans mon esprit souvent, et cela malgré moi. Je l’entends et mon palpitant se serre à chaque fois, de manière inexplicable. Je déteste cette image en demi-teinte qu’ils ont tous de moi, mais plus encore, je déteste qu’il puisse me percevoir de la même manière que le reste des candidats ou presque. Loin de toutes ces pensées, c’est à lui que je dédie ma concentration. Lui, que je tente d’arracher à sa vulnérabilité en lui fournissant les éléments nécessaires pour penser à autre chose. Si je l’exaspère, il ne pensera plus à paniquer et se concentrera sur la teneur de son exaspération pour moi. Le plan me semble infaillible, je jurerais qu’il porte ses fruits quasi-instantanément à en juger par le regard qu’il pose sur moi. J’esquisse un sourire fragile et, après bien des hésitations, j’opte pour le naturel et l’impulsivité, celle qui laisse toute la place à mon myocarde pour s’exprimer et l’enrober de ma tendresse. Ils ne me connaissent pas ainsi, et pourtant lorsque les caméras ne tournent pas et que les reproches ne me donnent pas envie d’agir comme un trou du cul, c’est ainsi que je suis. Je l’entoure de mes bras, caresse ses cheveux, me cale contre lui et reste ainsi pendant plusieurs longues minutes, en silence. Je ne devrais pas, mais je me sens bien contre lui et je n’en dirais rien, bien entendu. Il se calme, je le ressens et acquiesce à ses propos sans moufter pour autant. « On peut attendre encore un peu, si tu veux… Inutile de se précipiter… Sauf si tu te sens prêt à mille pourcent ! »

Je ne prête plus attention à rien et me contente d’être là, de lui apporter ma chaleur, mes gestes et ma tendresse en une tentative que je sais totalement maladroite de lui fournir les éléments dont il a besoin pour reprendre le dessus. Contre ma peau, légèrement découverte par mon t-shirt tiré vers le bas depuis tout à l’heure, je suis à même de sentir son souffle s’écraser fébrilement au départ, puis de manière un peu plus contrôlée au fur et à mesure que les minutes s’écoulent. Je ne bouge pas, ne moufte pas et ne me risque à rien d’autre que ces caresses que je multiplie contre son crâne. Il ne m’attendait pas sur ce terrain-là, j’en suis persuadé. Il n’avait aucune raison d’espérer ce comportement, je n’ai rien laissé entrevoir de tel depuis le début du jeu, à l’exception de @Leoh qui a pu bénéficier de mes câlins matinaux et nocturnes tous les soirs pendant une semaine entière lorsque nous étions en isolement, sans compter les papouilles dispensées au cours de la journée pour s’occuper. @Eloïm peut se targuer d’en avoir été témoin aussi, fraicheur du lac oblige. Les autres ne connaissent pas ce Beau-là, celui qui sait être plus qu’un beauf qui fait s’écrouler le mythe dès qu’il ouvre la bouche. Tout vient à point qui sait attendre et mériter. Je l’entends, il pique gentiment en pointant du doigt avec ironie ce qu’il ne maitrise pas aussi facilement que le reste, en ce qui nous concerne et je souris, bêtement, conscient qu’il ne me voit pas faire. « Ça m’arrive parfois dans mes moments d’extrême clarté. Une heure par semaine, parfois deux, grand maximum… Quand je suis bien disposé. » Pour ne pas admettre la vérité, ce que je préfère dissimuler derrière les apparences. Je frissonne sous son souffle, hume son parfum malgré moi et m’imprègne de cette odeur que j’apprécie. Ne pas être trop gentil, je lève les yeux au ciel, qu’il puisse en témoigner ou non et laisse un sourire percer dans l’obscurité en l’entendant babiller un complément nettement plus… Agréable ? « Ça ne me dérange pas… Si ça m’aide à trouver grâce à tes yeux pendant quelques minutes. »